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qu’on ait pu fonder sur ses talens de grandes espérances, et voir en lui l’homme que Napoléon attendait pour accomplir sur mer ses grands projets. Cependant trois vaisseaux français, aidés d’une mauvaise frégate, battirent complètement en cette journée six vaisseaux anglais, et les mirent en fuite, après en avoir contraint deux à amener leur pavillon. C’est un exemple dont il aurait fallu profiter, en s’appliquant à ne mettre en ligne que de bons navires, bien commandés et bien armés, au lieu de ces flottes immenses, composées de mauvais élémens, qui paralysaient la vaillance des équipages, et tombaient presque sans défense aux mains d’un ennemi plus aguerri.

Le 30 juin nous arrivions dans le détroit de Gibraltar poussés par une jolie brise d’Est, quand nous eûmes connaissance de trois gros navires de guerre courant sous les mêmes amures que nous. L’amiral désirait échapper à l’escadre anglaise en croisière devant Cadix, et craignant que sa présence ne fût signalée, il renonça à doubler le cap Trafalgar et alla mouiller à Algésiras. Sur un avis venu de terre, nous reprîmes le large, et essuyâmes un coup de vent qui nous obligea à prendre la cape. Rien ne nous empêchait cependant de sortir du détroit, quand, à notre grand étonnement, l’amiral nous mena de nouveau au mouillage d’Algésiras. Il était clair qu’à si faible distance nous allions être signalés à l’escadre anglaise, et que nous l’aurions avant peu sur les bras. Cependant, la journée du 5 juillet se passa tout entière sans qu’aucune disposition fût prescrite. Nous gardâmes l’ordre dans lequel nous avions jeté l’ancre, sur une ligne parallèle à la côte : le Formidable, de 80 canons, en tête, puis le Desaix et l’Indomptable de 74, et la frégate le Muiron. Deux batteries de côte, celles de San Iago et de l’Ile-Verte nous flanquaient tant bien que mal.

Cependant, les capitaines se préoccupaient à juste titre de la trop grande distance qui existait entre les vaisseaux, et de ce que nous étions mouillés trop au large, ce qui eût permis aux Anglais de renouveler la manœuvre de Nelson à Aboukir, en nous doublant du côté de la terre, et de nous prendre ainsi entre deux feux. Le 6 au matin le Desaix et l’Indomptable, de leur propre initiative, se balaient sur des grelins pour se rapprocher du Formidable et de la terre, quand l’escadre anglaise tomba sur nous. Nous ne pûmes achever notre manœuvre, et elle demeura si imparfaite que l’Indomptable nous doublait, et que la moitié