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pourvus d’équipages trop faibles et mal exercés, étaient hors d’état de tenir la mer, de sorte que cette expédition, sans avoir rencontré l’ennemi, se trouva en peu de jours anéantie. Au lieu de prendre le passage de l’Iroise qui était le plus naturel, puisque l’ennemi n’était pas signalé, nous allâmes donner de nuit et en désordre dans le raz de Sein. Le vaisseau le Séduisant qui nous précédait, prenant le Grand Tévenec pour son matelot d’avant, alla donner dessus et s’y perdit corps et biens ; nous eûmes beaucoup de mal à ne pas en faire autant, et c’est bien par miracle que nous arrivâmes à doubler la chaussée de Sein. Les amiraux, selon la fatale habitude de cette époque, avaient mis leur pavillon sur des frégates qui faillirent être prises, des vaisseaux s’abordèrent » d’autres coulèrent au large ou furent capturés ; le lendemain au jour, le Nestor était seul avec trois frégates, et c’est seulement dans la baie de Bantry, point où devait avoir lieu le débarquement, que nous retrouvâmes les quelques vaisseaux échappés à tant de désastres. L’expédition était dès lors, impraticable, et je m’estimai heureux de rentrer à Brest sans avoir refait connaissance avec les pontons.

Peu de temps après, je fus rendu à ma famille ; c’était au mois de janvier 97. La triste expérience que je venais de faire du métier de marin avait un peu calmé mon ardeur, et, n’ayant que douze ans, je pouvais entreprendre de sérieuses études, mais il était écrit sans doute que je reviendrais à ma première vocation.

Une fois libéré, je retournai à Rennes, où je retrouvai mon père toujours bon et aimable, mais le foyer de plus en plus désert et, comme on dit, la marmite renversée. Mon frère Pierre, à peine revenu de la campagne de d’Entrecasteaux à la recherche de La Pérouse, était reparti avec l’amiral de Sercey pour les mers des Indes ; Louis avait été tué, Olivier était embarqué, et mes sœurs étaient mortes. Je me trouvais donc fort abandonné quand un homme de bien s’intéressa à mon sort. C’était un M. de Laune dont mon père avait épousé en secondes noces la sœur. Il n’était donc pas à proprement parler, mon parent, et cependant, après ma mère, c’est lui qui a le plus contribué à faire de moi un honnête homme ; aussi lui en serai-je éternellement reconnaissant. C’était un vieillard encore vert, d’une grande piété et d’une instruction solide ; il se donna la peine de me faire reprendre mes études, m’astreignit à une vie régulière, et me rendit le service plus grand encore de me préparer à ma