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une jeunesse assez dissipée, s’était vu contraint d’accepter pour vivre un modeste emploi de contrôleur des poudres et salpêtres ; il souffrit d’abord beaucoup de l’existence étroite à laquelle il était condamné, et abandonna toutes ses relations de famille ; puis, la légèreté de son caractère prenant le dessus, il se répandit de nouveau au dehors, fréquentant une société inférieure qui lui faisait fête, et le détournait peu à peu des devoirs que sa nombreuse famille rendait chaque jour plus lourds. C’était un homme de petite taille, passionné pour les exercices du corps, et faisant passer la force et l’adresse avant toutes les autres qualités. Attaqué une nuit par des malfaiteurs dans une rue de Rennes, il les blessa grièvement tous les trois, n’ayant pour se défendre que sa petite épée.

Ma mère s’était mariée à quinze ans et demi ; elle mourut en 1791. J’avais alors sept ans, et cependant son souvenir et ses premiers enseignemens sont toujours gravés dans mon cœur. C’est à eux que je dois d’avoir traversé sans guide tant de périls de tous genres, et d’avoir conservé le flambeau de la foi qui console ma vieillesse. Ma mère était belle autant que sage ; elle eut douze enfans, et sa vie était absorbée par ses nombreux devoirs : l’éducation de ses garçons était celui auquel elle consacrait tous ses soins. Prévoyant sans doute les temps troublés que nous aurions à traverser, elle s’attachait à nous donner des principes solides, et à développer en nous au plus haut point le sentiment de l’honneur ; elle s’efforçait aussi de nous donner de bonnes manières et d’adoucir nos instincts querelleurs, égayant de tout son pouvoir sa pauvre maison pour nous la faire aimer.

J’ai eu cinq sœurs dont je n’ai conservé presque aucun souvenir ; elles moururent jeunes ainsi que deux de mes frères ; il ne resta donc que cinq fils de cette nombreuse lignée ; ils se nommaient François, Pierre, Louis, Olivier, et j’étais Auguste, le dernier des cinq.

François, l’aîné de tous, était intelligent, doué d’un physique agréable et d’une force peu commune. Imbu d’idées philosophiques et vivant de sa place d’employé des postes suivant les armées, il a traversé la vie le sourire aux lèvres, buvant sec et jouant du violon. Il avait seize ans de plus que moi, et nous nous sommes très peu connus.

Pierre, le second, a été le guide et le conseiller de ma jeunesse ; j’ai toujours eu pour lui la plus vive admiration, et sa vie