Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/182

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lavés par les averses printanières, dorés par les soleils d’été, devenus semblables à des tibias et à des fémurs d’ivoire, ce sont les débris d’un colossal cadavre. On songe aux funérailles païennes, à des os qui luisent dans de la cendre, après que le bûcher s’est éteint !

Mais de même que la forme idéale du mort revivait dans l’effigie gravée sur la stèle funéraire, la forme de la ville détruite s’est imprimée à tout jamais au lieu même de sa sépulture. Cette forme, conçue par le génie ordonnateur de Rome, est quelque chose de si parfait qu’elle semble indestructible comme les vers et les poèmes consacrés, sur qui le temps n’a plus de prise !

Devant cette survie miraculeuse, je m’incline, reconnaissant par delà les siècles la toute-puissance d’une pensée dominatrice, supérieure aux vicissitudes et à la durée elle-même. Je cueille une tige de pavots sauvages qui a poussé dans les fissures des pierres et j’en sème les pétales sur les degrés qui conduisaient au temple de l’Empire, en murmurant, avec piété, ce filial hommage : « A Rome ! A Rome immortelle !... A l’Eternité de la Ville !... »


LOUIS BERTRAND.