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ciel a pris une pâleur de fièvre et que le soleil brûlant semble décoloré. La poussière tourbillonne. C’est comme une pluie de cendres qui s’abattrait sur la ville morte. Un voile grisâtre recouvre la terre, et, çà et là, les décombres épars, avec leur teinte ocreuse et violacée, ont l’air d’ossemens qu’on vient d’exhumer, et qui sont encore enduits du terreau livide et de l’argile grasse des fosses. Au loin, les montagnes, dénudées et lisses comme des murailles de prison, se dessinent en noirceurs formidables et menaçantes. Et pourtant, malgré les tons lugubres du paysage, malgré (cette panique du vent déchaîné comme un messager de désastre, la ville reste sereine et belle sous la parure mutilée de ses ruines. Assise à l’extrémité de cette plaine aride, elle chante, telle une strophe de chœur dans la désolation d’un drame antique !

Avec quelle splendeur elle devait apparaître jadis aux yeux du nomade ! Pour ce barbare et ce bandit, elle était la Force disciplinée et elle était la loi. Pour cet errant, pour cet habitant fugitif de la tente, elle était la « ville aux rues profondes, » l’abri permanent édifié par une sagesse mystérieuse, qu’il ignorait et qui lui inspirait une secrète épouvante. Pour ce pauvre et pour cet affamé, elle était la richesse et la nourriture inépuisables, avec ses trésors, ses marchandises, ses greniers, ses marchés regorgeant d’herbes et de fruits, de viandes et de venaisons : elle était la faim et la soif satisfaites ! Les cornes d’abondance et les patères sculptées sur les arcs de triomphe ne cachaient pas de vains symboles !... Surtout, pour cet homme du désert, elle était la fontaine perpétuelle, la source d’eau vive. Déversée par les aqueducs, l’eau coulait partout, dans les thermes, sur les places publiques, dans les vasques et les abreuvoirs des carrefours. Quel rêve ! Quelle fraîche musique que cette chanson de l’eau courante sous un ciel embrasé !... Deux pas plus loin, c’était la sécheresse et l’agonie lente dans les sables torrides !

Maintenant que les aqueducs sont rompus, les citernes taries, que les murs des temples gisent dans la poussière, quelle souriante image de la mort cette Thimgad n’offre-t-elle pas au pèlerin de la Beauté antique ! Rien qui rappelle la pourriture horrible de la tombe ! C’est un squelette de marbre. Ce chapiteau qui s’enfonce sous l’herbe maigre, à côté de sa colonne décapitée, tel un crâne séparé du tronc, ces fûts blanchis, polis,