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étaient tout fleuris de sculptures : feuilles d’acanthe, rinceaux, pampres, cornes d’abondance, patères, figures portant des ceps de vigne... Mais ces jolis détails ne sont rien au prix de l’ensemble. C’est l’ordonnance totale qu’il faut considérer. Regardons seulement les six colonnes de la façade : le portique de ce marché est imposant comme le péristyle d’un sanctuaire !

La merveille, le joyau de Thimgad, c’est son Capitole.

Il n’en subsiste, pour ainsi dire, que les propylées, ; — une rangée superbe de douze colonnes découronnées de leurs chapiteaux ; et, par derrière, au fond d’un grand parvis dallé, un large soubassement où se dressait autrefois le temple de Jupiter Capitolin et que surmontent deux uniques colonnes, dont le profil triomphal s’aperçoit, à plusieurs lieues, de tous les points de la plaine numide.

Sans doute, les vainqueurs, en construisant ce temple, imitation du Capitole romain, ont prétendu d’abord rattacher par le lien d’un culte commun la colonie africaine à la Métropole latine. Mais ils ont voulu (surtout, en lui choisissant pour emplacement le lieu le plus élevé de toute la ville, en lui donnant une magnificence extraordinaire, rendre plus visible et plus formidable la souveraineté de l’Empire symbolisée par cet édifice qui domine tout le pays, et, en même temps, frapper les vaincus d’une sorte de terreur religieuse, devant le faste et la grandeur de Rome.

Du haut de la plate-forme, où s’ouvrait jadis la cella du temple, on embrasse non seulement la ville entière, mais les campagnes avoisinantes, depuis les régions vagues du Tell jusqu’à la ligne hautaine et dure de l’Aurès. Suivant un plan incliné, le quadrilatère des (ruines dévale vers le Nord, pareil à un immense damier, où les colonnes debout figurent les pièces d’ivoire d’un jeu d’échecs. Ces colonnes, par leur nombre, par leur foisonnement invraisemblable, provoquent, à la longue, une espèce d’hallucination. On dirait une forêt de pierre dévastée par quelque cyclone. A la limite des remparts s’étendent les champs incultes, espaces sablonneux et confus où le regard se perd.

Ce soir, le sirocco a tellement brouillé l’atmosphère que le