Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/177

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Les Victoires !... Quelles syllabes augustes ! Comme elles sonnent sur les lèvres, surtout sur des lèvres françaises déshabituées, hélas ! depuis si longtemps, de les prononcer avec orgueil ! De quelle lumière fulgurante elles éblouissent les yeux ! Sur la terrasse de ce temple où on les adora jadis, parmi les socles aux inscriptions grandiloquentes, les colonnes et les chapiteaux de marbre, j’évoque tout le chœur des Jeunes filles divines dont les mains ceignirent le laurier aux tempes des ancêtres illustres... Oui ! du fond de l’horizon numide, je vois accourir,


Ailes au vent, l’essaim des Victoires chantantes !


Toutes !... Toutes celles qui ont échappé au marteau des Barbares, les plus jeunes et les plus antiques, les grecques et les romaines ! Celle que Pœonios sculpta pour le fronton d’Olympia et qu’on croirait suspendue dans l’air, par delà le sommet d’une montagne ; celles qui flottent, si légères ! sur les frises du temple athénien : l’une qui rattache sa sandale, l’autre qui traîne par les cornes le taureau du sacrifice ; la Niké de Phidias, dont les seins robustes s’enflent comme les voiles d’une trirème, sous un coup de forte brise ; et celle de Samothrace dont l’élan belliqueux imite la marche puissante d’un vaisseau de guerre ; et celle de Cirta, la dernière du cortège, svelte silhouette de bronze, à la tunique plissée comme la jupe d’une ballerine, qui, d’une main tient le globe, de l’autre, la couronne, — oiseau triomphal fait pour planer au cimier d’un casque de parade, ou veiller sur une console d’onyx, au chevet de César !

Je les vois toutes, réunies sous mon regard ; — et, devant ces ruines amoncelées qui m’entourent, pris d’un pressentiment lugubre pour la Race et pour la Patrie, j’adresse avec ferveur ma prière aux Victoires :

« Vierges secourables !... Entretenez dans le sang des jeunes hommes de France les mêmes vertus guerrières, qui, autrefois, poussèrent leurs aînés vers les plages africaines et qui, après tant de siècles, leur permirent d’arracher aux Barbares ce lambeau de la Patrie Latine. Préservez-les des doctrines serviles qui amollissent les cœurs et qui hébètent les intelligences ! Gardez que, par lâcheté ou par lassitude, ils ne laissent périr leur héritage ! Enseignez-leur que l’art et la pensée s’étiolent et dégénèrent dans les pays sans vigueur qui ont déserté l’épée et la charrue et que