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revenir ici, les membres assouplis et la peau fraîche sous le tissu léger des toges estivales, déambuler, en causant, par les xystes, ou, assis sur les talons, former le cercle autour des joueurs de dés...

C’était le soir sans doute, au coucher du soleil, que les oisifs affluaient de préférence au forum. L’heure était délicieuse !... Peu à peu, l’ombre crépusculaire envahissait la cour intérieure ; les reflets lilas et roses du couchant glissaient sur les marbres des portiques, des basiliques et des temples. Sous leur enduit de minium, les lignes des inscriptions votives resplendissaient, aux flancs des piédestaux, comme des bandelettes de pourpre. Les promeneurs circulaient parmi les statues des Césars, des personnages consulaires, des dignitaires municipaux, à peine plus noblement drapés qu’eux-mêmes. Ils frôlaient au passage les effigies des dieux représentés dans des attitudes qui étaient celles du théâtre, du cirque ou de la palestre. Placés sur des socles très bas, ces images ne dépassaient point sensiblement les têtes des simples mortels. On pouvait presque voir en elles des concitoyens ou des magistrats d’un ordre plus élevé qui présidaient aux amusemens publics. On vivait sous leurs yeux, — « et cette familiarité divinisait la vie. »

Du moins, c’était une leçon indirecte de décence ou de pompe extérieure que l’on recevait de tous les objets environnans. Il suffit de considérer les huit belles colonnes qui se dressent sur la façade septentrionale du forum, pour qu’aussitôt s’éveillent dans l’esprit des idées de magnificence. Assurément, les hommes en toges immaculées ou en tuniques fleuries de couleurs vives qui se promenaient, chaque jour, sous ces arcades, assez spacieuses pour se prêter aux évolutions d’un chœur, — ces hommes avaient de leur dignité une opinion un peu plus haute que les piétons mal vêtus qui s’écrasent aujourd’hui sur les trottoirs étriqués de nos villes provinciales. L’éclat des onyx et des porphyres répandus, autour d’eux, à profusion, les exemples héroïques ou divins des sculptures, les grands espaces dallés et miroitans qui se déployaient sous leurs pas, l’ampleur des galeries aérées et sonores, — tout cela se reflétait inconsciemment dans leur pensée, comme autant de symboles d’une vie plus large, plus libre, plus brillante, plus voluptueuse que notre vie moderne. Cette vie antique, elle reste toujours, pour nous, le Paradis perdu ! Chaque fois qu’on s’abandonne à l’illusion de cet âge d’or, on