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prononcer une parole souveraine ; et, en effet, c’est bien la pensée de Rome quelle profère toujours en face de l’éternelle Barbarie !

Par une traverse ‘qui longe les jardins du pénitencier, je rejoins la route de Thimgad. Partout des ruines antiques : des thermes, des aqueducs, un amphithéâtre ! Plus loin, le temple d’Esculape, le capitole de Lambèse, Tare de Commode, l’arc de Septime Sévère. Cela devient une promenade triomphale, parmi les chapiteaux de marbre, les colonnes, les inscriptions dédicatoires. Les arcs de triomphe se multiplient. Le dernier que je rencontre, c’est à trois kilomètres plus loin, à Marcouna, dans un pré d’asphodèles où paissent de petites génisses au poil roux. Le monument, peut-être consacré à Marc-Aurèle, est une simple porte flanquée de pilastres corinthiens. Avec ses pierres noircies, luisantes comme de l’ébène, il paraît d’une tristesse étrange, sous le ciel gris encore obscurci par le sirocco qui se lève. Perdu dans cette plaine déserte, parmi les asphodèles elles immortelles sauvages, il évoque on ne sait quel trophée funèbre élevé dans les limbes de l’Hadès homérique pour glorifier les « ombres vaines » des héros morts.

Ce débris mélancolique s’aperçoit longtemps à l’horizon des steppes. Il est l’unique objet qui sollicite le regard. Pas un arbre. Rien que de longues bandes vertes qui ondulent à perte de vue, jusqu’aux montagnes de l’Aurès, dont les parois dénudées transparaissent, aussi lisses que des murailles de granit, au fond de l’air pâle comme un voile de tulle. Tout est vert, en ce moment de l’année. C’est le printemps africain, un printemps hâtif, trop avide d’éclore, et dont la fraîcheur humide est déjà traversée de souffles brûlans. Le vent du Sud, qui arrive du désert, emplit tout l’espace d’une pluie de cendre tiède. Continuellement, on a l’impression d’un jet de vapeur dans un tourbillon de poussière. Sous cette haleine embrasée, les herbes encore gonflées des eaux hibernales vont se flétrir bien vite. Elles s’épanouissent avec une luxuriance maladive. Les fleurs foisonnent. Les coquelicots d’une flamme trop ardente s’épanchent en nappes magnifiques, s’étalent dans les champs, comme des lacs de pourpre. Et, par-dessus tout cela, brouillant l’atmosphère indécise où éclatent