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Pour s’y rendre, il faut passer par Batna, petite ville née d’hier, centre militaire elle aussi. Cette sous-préfecture africaine n’offre sans doute aucune sorte de curiosités. Mais l’aspect de ses rues toutes géométriques, tracées au cordeau par le Génie, prédispose merveilleusement à goûter le genre de beauté propre aux ruines de Thimgad. Ces murs percés de meurtrières, ces quartiers d’infanterie et de cavalerie, cet hôpital, ces manutentions, ces avenues toutes droites, cette place, — véritable forum, — avec son église, son square, son marché, son hôtel de ville, tout cela strictement aligné, officiel, carré, solide et battant neuf, c’est comme une transposition moderne et sans grandeur de tout ce qu’on admirera quelques lieues plus loin.

Les terrasses des cafés ne sont guère occupées que par des officiers en uniforme, — des lieutenans de tirailleurs pour la plupart. Ils portent sur leurs képis un croissant de l’une : le croissant de l’Islam qui fut d’abord le croissant de Tanit, de Diane et d’Isis. Leurs dolmans qui se moulent sur le torse comme des cuirasses de parade m’évoquent la pourpre du manteau consulaire, le paludamentum qu’on déployait, à la façon d’un étendard, sur le front des batailles... Et je me réjouis de retrouver ces symboles de la force française aux lieux mêmes où triompha jadis la force latine !

En voiture découverte, je suis une belle route ombragée de platanes. Le soleil printanier achève de dissiper les vapeurs humides qui embrumaient l’atmosphère. Pourtant la ligne grisâtre des montagnes est encore indécise. Ce paysage à demi voilé se dessine avec une finesse extrême ; on ne voit partout que des arbres d’Europe, et l’air est si léger qu’on se croirait en France.

De Batna à Thimgad, il y a tout près de quarante kilomètres. Mais je m’arrête un instant à Lambèse, — la Lambæsis des Romains, le lieu de déportation si fameux sous le second Empire.

Ce fut d’abord un simple camp retranché, construit, au début du IIe siècle, pour contenir les nomades ; puis bientôt toute une ville se développa autour du camp, et Lambèse devint une cité au moins aussi considérable que Thimgad sa voisine.