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Depuis qu’elle a reçu cette forme supérieure, la philosophie a cependant continué à croître. C’est ainsi qu’elle crée, depuis le XVIIIe siècle, une notion nouvelle à ajouter aux devoirs de la morale, la tolérance, c’est-à-dire le respect de sa propre liberté dans la liberté d’autrui[1].


VIII

La philosophie de Cousin a subi bien des attaques. Je ne place pas au nombre des sérieuses l’étude mesquine de Jules Simon, dénigrement ingrat, très superficiel sur la doctrine elle-même. Pierre Leroux est plus sincère[2], mais pas plus concluant, car toute sa critique part de cette supposition que Cousin a méconnu le sentiment dans la pensée et que c’est la source de ses erreurs. C’est inexact : personne n’a écrit des pages plus belles que celles de Cousin sur le sentiment[3]. Son autre reproche est que Cousin ait méconnu que virtuellement la philosophie est toujours une religion, tantôt une religion qui se continue, tantôt une religion qui se fait. Le tort de Cousin est tout autre : il n’a pas assez séparé la philosophie de la religion, puisqu’il leur a donné le même objet.

La négation la plus vigoureuse, la plus impitoyable a été celle de Taine[4]. Dans des pages d’une beauté littéraire admirable, il lui reproche de manquer de précision, de cohérence, et il n’a pas absolument tort, car même les admirateurs de Cousin ont regretté qu’il ait délaissé la philosophie pour Mme de Longueville et qu’il n’ait pas résumé dans une étude plus complète que le Vrai, le Beau et le Bien ses vues disséminées dans des leçons, dans des fragmens, qui, faits à des époques diverses, manquent de véritable unité doctrinale. Mais le vice principal que Taine dénonce dans l’esprit de Cousin, c’est qu’il n’est qu’un orateur ; un orateur ne peut pas être un philosophe. À ce propos, Taine nous définit l’art de l’orateur : disposer parfaitement les diverses parties de son sujet, en être toujours le maître, s’y mouvoir comme dans son domaine, le présenter avec agrément. Cousin posséda

  1. Voyez sur la Morale Chrétienne et la Morale païenne la belle étude de notre éminent philosophe Brochard.
  2. Réfutation de l’Éclectisme.
  3. Le Vrai, le Beau, le Bien, p. 471.
  4. Les Philosophes classiques du XIXe siècle.