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pas y avoir une lumière qui ne produirait pas d’ombre. Je vous réponds ce que je lui répondais : « Il n’y a qu’une manière d’empêcher la lumière de produire de l’ombre, c’est de l’éteindre. » (Mouvement.) Me voici arrivé à la dernière conséquence de mes idées et je le dis avec une entière franchise. Il faut opter : ou bien poursuivre la licence, et par là même condamner la liberté, ou bien respecter la liberté, mais alors tolérer la licence. Pour mon compte, je n’hésite pas. L’absence de liberté, c’est l’affaiblissement des caractères, l’énervement de la vie sociale ; c’est l’incrédulité sur tout ce que disent et affirment les agens du pouvoir. Quand la liberté existe, il y a des orages, il y a des jours d’épreuve, des heures de combat ; la vie, pour les hommes qui sont au gouvernement, n’est pas une vie de sybarites, c’est une vie de difficultés et de périls. Mais aussi quel éclat ! quelle noblesse ! quelle grandeur ! quelle vigueur dans les caractères ! quel développement dans l’intelligence ! quelle belle et puissante société ! Vous avez le combat, mais vous avez la sécurité. (Rumeurs.) Vous avez les difficultés, mais vous avez la dignité ; vous avez le péril, mais vous avez la grandeur[1]. »

Ces idées obtinrent peu de succès auprès de mes collègues et mon projet ne fut pas pris en considération.


V

La reprise des travaux législatifs, en mai, fut précédée d’un intermède politique à l’Académie : la réception par Rémusat de Jules Favre, appelé à la succession de Victor Cousin[2]. Cette élection avait été l’œuvre de la coalition ennemie de l’Empire ; Berryer, dont Jules Favre entourait la vieillesse d’une admiration qu’il n’avait pas toujours professée avec le même enthousiasme, en avait été, avec Thiers, le principal promoteur.

Cousin[3] était mort à Cannes où il venait chaque hiver se réchauffer au soleil et retrouver Mérimée, l’hôte habituel du pays. Cette année-là, Barthélémy Saint-Hilaire l’accompagnait. Le 13 janvier 1867, après une mauvaise nuit, il se leva, accablé des fatigues de l’insomnie, et se mit néanmoins à corriger des épreuves. Au déjeuner, une invincible envie de dormir le terrasse ;

  1. Discours du 3 février 1868.
  2. 23 avril 1868.
  3. Né à Paris, dans la Cité, le 28 novembre 1792.