Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 28.djvu/142

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des journalistes, l’opposition possédait toutes les facilités suffisantes à son œuvre de renversement. Le total de la liberté n’aurait profité qu’au gouvernement pour lequel elle eût constitué un parapet protecteur contre la fusillade ennemie. En donnant la liberté complète, on eût désagrégé la coalition ennemie ; on l’eût obligée à démasquer ses desseins déloyaux, et le pays aurait cessé de répéter : liberté, parce qu’il aurait compris que liberté signifiait : révolution. On préféra s’en tenir au triste thème du Duc d’Angoulême répondant en 1830 à un fidèle royaliste, Vitrolles, qui le pressait de désarmer l’opinion par des concessions : « La situation n’est pas encore assez désespérée. » Pourquoi faut-il, que, cette fois encore, ce soit de Berlin que nous soit venue la leçon de politique ! « En toutes choses, disait Bismarck au Landtag prussien, il y a deux chemins à prendre ; c’est l’avenir qui décide quelle est la bonne, quelle est la fausse route ; mais un gouvernement suit une voie qui le mène à sa perte s’il fait tantôt ceci, tantôt cela, s’il promet aujourd’hui quelque chose et que demain il ne se souvienne plus de sa promesse. La fluctuation ne lui est pas permise ; la voie une fois choisie il doit marcher en avant, sans regarder ni à droite ni à gauche. Dès qu’il est hésitant, il faiblit, et toute la vie publique en souffre. » (Discours du 28 février 1868.)

Le discours de Rouher décida la majorité et l’article premier ne rencontra que sept opposans : « Les sept sages de la Grèce ! » cria Cassagnac.


IV

Opposition et gouvernement se réclamaient également du droit commun. Le jury, disait l’opposition, c’est le droit commun pour les délits de presse. — Même pour les délits de presse, soutenait le gouvernement, le droit commun c’est la police correctionnelle. Ma thèse fut : Le jury est, en effet, le droit commun, tant qu’on maintiendra des délits spéciaux de presse, mais les tribunaux de police correctionnelle deviendront ce droit commun dès que, les délits de presse abolis, on ne verra plus dans les journaux que des moyens de commettre des crimes ou délits ordinaires. — Tant que vous persisterez dans vos délits d’opinion, dis-je au gouvernement, subissez le jury. — Dès que les délits d’opinion auront été abolis, dis-je à l’opposition, vous ne pouvez