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que chacun devait être libre chez soi, tant les idées simples ont de la peine à pénétrer dans les esprits. Aussi la maison d’Espagne et la maison de France ont-elles rempli l’histoire du bruit de leurs luttes héroïques. Nous ne méconnaissons nullement les grands intérêts qui ont été en jeu dans cette gigantesque querelle et qui l’ont rendue longtemps légitime ; mais, même après qu’ils ont été réglés, l’habitude a survécu de nous trop occuper les uns des autres, et le mot que le jeune roi a répété d’une manière si amicale pour nous, à savoir qu’il n’y avait plus de Pyrénées, mot qu’il a emprunté à son aïeul Louis XIV, n’a été malheureusement que trop vrai. Il faut qu’il n’y ait plus d’obstacles entre les deux peuples, mais nous sommes heureux qu’il y ait matériellement une frontière aussi bien tracée par la nature : que ne l’a-t-on toujours respectée ? Depuis que nous l’avons fait, les rapports entre les deux pays sont devenus excellens. Nous nous sommes appliqués, lorsqu’il y a eu des troubles en Espagne, à ne rien faire pour les encourager, encore moins pour les soutenir. Nous nous sommes abstenus soigneusement de toute propagande en faveur de nos principes, laissant à l’Espagne le soin de choisir et de réaliser les siens, et cette attitude nous a valu sa confiance. Elle sait aujourd’hui qu’elle n’a à attendre de nous que des procédés de bon voisinage, et que, partout où nous avons des intérêts communs, nous ne demandons qu’à les régler ensemble à l’amiable. C’est précisément ce qui vient d’avoir lieu au Maroc, et puisque la question du Maroc est à l’ordre du jour, on nous permettra d’y insister.

Nous ignorons le dispositif de notre arrangement avec Madrid ; il est resté secret ; nous savons seulement qu’il repose sur les mêmes bases que notre arrangement avec l’Angleterre, à savoir le respect de l’indépendance du Sultan et de l’intégrité de son territoire. La porte ouverte au point de vue commercial y est également garantie. Les négociations, avant d’aboutir, ont été assez longues et parfois laborieuses, parce, que l’Espagne, et elle avait le droit de le faire, émettait des prétentions assez étendues sur le Maroc. Son droit venait, non seulement de son voisinage, — car si nous sommes voisins du Maroc sur terre, l’Espagne l’est sur mer, — mais encore des entreprises nombreuses qu’elle a faites dans ce pays : les possessions qu’elle a conservées sur la côte en sont le témoignage toujours vivant. Il convenait donc de s’entendre avec elle et M. Delcassé l’a parfaitement compris : nous n’avons voulu exclure personne du Maroc, et l’Espagne moins que personne. Nous sommes arrivés enfin à nous mettre d’accord, et il faut bien croire que nous l’avons fait dans des conditions