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Le voyage du roi d’Espagne à Paris évêque dans notre esprit des impressions très différentes de celles qu’y ont fait naître la brusque poussée de l’Allemagne au Maroc et la chute non moins brusque de M. Delcassé. Nous pouvons, cette fois, nous livrer à une satisfaction sans mélange. Dès sa première apparition à Paris, le roi Alphonse XIII a fait personnellement la conquête de cette ville parfois capricieuse et toujours impressionnable. Il a plu, ce mot dit tout. Sa jeunesse, sa bonne grâce, la franchise de ses allures, son esprit d’à-propos ont frappé et séduit les imaginations. Et puis, il représentait un pays de même race que le nôtre, auquel toute notre histoire a été mêlée, tantôt en bien, tantôt en mal, mais toujours intimement, de telle sorte qu’un atavisme inconscient continue de nous pousser vers lui. Enfin une circonstance qui aurait pu être tragique, mais qui n’a servi qu’à mettre en relief le courage et le sang-froid du jeune roi, a contribué plus peut-être que tout le reste à faire monter autour de lui les acclamations bruyantes de la popularité. De tous les discours qu’il a prononcés, et tous lui sont venus de l’inspiration la plus généreuse, celui où il a fait une allusion directe au péril qu’il avait couru, au baptême du feu qu’il avait essuyé, a-t-il dit, avec M. le président de la République et au milieu de nos beaux cuirassiers, nous a été droit au cœur. Une fois de plus, en effet, le sort commun des deux pays avait été mis à une même épreuve dans la personne de leurs représentans, l’un provisoire et presque au bout de son mandat, l’autre héréditaire dans la fleur de son âge et au début de son règne, et ce sort heureux avait dissipé les chances mauvaises et les maléfices meurtriers. La parole vaillante d’Alphonse XIII a eu dans la France entière un retentissement prolongé.

Derrière lui il y avait son pays, et les manifestations parisiennes s’adressaient à l’Espagne comme à son souverain. Les rapports que nous avons eus avec elle n’ont pas été toujours aussi bons qu’aujourd’hui, quelquefois par sa faute, quelquefois par la nôtre. Il est arrivé à l’Espagne et à la France de se mêler plus qu’il n’aurait fallu des affaires l’une de l’autre et d’avoir voulu y exercer trop profondément leur influence, ce qui n’a finalement réussi à aucune des deux. Mais ces temps appartiennent à un passé déjà lointain. D’autres principes ont fini par prévaloir dans la politique des nations voisines : autrefois, c’était le principe d’intervention qui régnait, aujourd’hui, c’est celui de non-intervention. On a parlé souvent de ce dernier avant de le bien comprendre : il consiste dans le respect réciproque de la liberté d’autrui. Des siècles ont été nécessaires pour nous faire admettre