Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/959

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous permet évidemment pas d’aller à une conférence dont le programme ne serait pas arrêté d’avance, de manière que les vues de l’Allemagne soient aussi bien connues que le sont celles de la France, de l’Angleterre, de l’Italie et de l’Espagne. Il importe, en effet, qu’entre ces vues diverses la conciliation soit déjà faite et qu’il ne reste qu’à la consacrer. Au reste, nous nous rappelons un mot très sage de M. de Bismarck qui disait que, dans certains conflits, c’est le plus sage qui cède : cela est vrai surtout de ceux qui sont de pure forme, lorsque les amours-propres s’y sont, à tort ou à raison, engagés très avant.

Après les secousses de ces derniers jours, le calme, mais non pas encore la sécurité, commence à rentrer dans les esprits. On a l’impression qu’il y a encore beaucoup à faire pour apaiser les flots soulevés en tempête par le quos ego ! de l’empereur allemand ; mais on y parviendra sans aucun doute, à condition que la bonne volonté se montre égale de part et d’autre. S’il est vrai, comme on le dit à Berlin, que certaines négligences, certaines omissions de notre part y ont fait croire à un parti pris de nous tenir à l’écart de l’Allemagne et de rendre de plus en plus rares nos rapports avec elle, il faut dissiper cette impression, sans même perdre notre temps à rechercher si nous y avons effectivement donné prétexte. L’Allemagne est une beaucoup trop grande puissance pour qu’elle n’entre pas dans tous nos calculs de politique européenne ou mondiale. Bien qu’elle n’ait au Maroc, comme elle l’a si souvent déclaré elle-même, que des intérêts commerciaux, il est naturel qu’elle ait voulu prendre part au règlement de la question marocaine, et tout ce que nous regrettons c’est qu’elle ne l’ait pas dit plus tôt et autrement. Mais que veut-elle ? La porte ouverte ? Elle l’aura. L’indépendance du Sultan ? Nous avons toujours promis de la respecter. L’intégrité du territoire chérifien ? Nous avons pris à ce sujet le même engagement. Veut-elle autre chose encore ? Le Maroc n’est-il qu’un prétexte pour elle, et ses pensées s’étendent-elles sur un ensemble d’objets beaucoup plus vaste ? Qu’elle s’explique. Nous n’avons qu’une chose à dire, c’est que, en dehors de la Russie envers laquelle nous sommes liés par des engagemens formels, notre politique est libre et que nous entendons lui conserver ce caractère, sans renier aucun de nos amis anciens ou nouveaux. Tout ce qui est compatible avec ces sentimens à coup sûr légitimes, nous le ferons pour mettre nos intérêts d’accord avec ceux de l’Allemagne. Cet accord est certainement possible et même facile, à la condition de respecter notre dignité réciproque et de n’avoir vraiment d’autre chose en vue que la paix.