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tout-puissant à qui j’aurai bientôt à répondre de ma vie, disait-elle, je jure que ces deux enfans sont bien nés de moi ! Et ce fait, que je meurs pour eux, quelle autre preuve plus forte mon frère pourrait-il demander, pour se convaincre enfin qu’ils sont mes enfans ? » Bien loin de s’effrayer de la mort, elle y aspirait de toute son âme : mais l’avenir de son Archibald l’inquiétait si douloureusement que son inquiétude à ce sujet semble avoir encore contribué à hâter sa fin.

Ici se place un intermède comique qui mériterait d’être raconté avec plus de détail. Il y avait alors en Écosse une vieille demoiselle Douglas, cousine de lady Jean, et certainement l’un des membres les plus singuliers de cette famille d’excentriques. S’étant prise d’une haine profonde pour sa parente lady Hamilton, qui comptait recueillir le titre et la fortune du duc de Douglas, la vieille fille, vers 1758, pour mortifier son ennemie, résolut d’amener le duc à reconnaître le fils de lady Jean ; et, pour l’y amener, elle résolut d’abord de se marier avec lui. Elle s’installa, à son tour, dans une auberge voisine du château, sous prétexte d’avoir à consulter le duc sur un procès qu’elle avait ; puis les relations ainsi engagées se poursuivirent régulièrement, jusqu’à ce qu’un jour le duc, en gage d’amour, envoya à sa vieille cousine « une des plus belles pièces de son argenterie. » Dès lors le mariage fut décidé, « à la grande stupeur de toute l’Écosse ; » et la nouvelle duchesse se mit aussitôt en devoir de convertir son mari à la cause de feu lady Jean. Mais l’entêtement du vieillard était plus difficile à vaincre qu’elle ne l’avait supposé. Ne pouvant pas se délivrer autrement des instances, reproches, et allusions de sa femme, lord Douglas finit même par se séparer d’elle, malgré l’extrême déférence qu’elle lui inspirait ; et lorsque la réconciliation se produisit, ce ne fut que sous la condition formelle, et stipulée devant notaire, que jamais la duchesse ne ferait mention, devant son mari, du prétendu fils de lady Jean. Comment la duchesse put se contraindre à observer cette condition, on l’ignore. On sait seulement que le vieux duc, obstiné dans son caprice avec une ténacité inébranlable, se refusa jusqu’au bout à voir son neveu, tout en manifestant un remords de plus en plus vif de la dureté de sa conduite à l’égard de sa sœur. Mais quand il se sentit sur le point de mourir, en 1761, il annula tous ses testamens antérieurs, et nomma pour unique héritier de son titre et de ses biens « Archibald Douglas, alias Stewart, fils mineur de défunte lady Jean Douglas. » Ainsi, neuf ans après la mort de la malheureuse femme, se trouvait réalisé son unique désir !

On pourrait penser que l’histoire finit là : elle ne fait que