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n’entrerait pas avant que Sa Seigneurie fût instruite de sa présence. J’allai donc trouver le duc, et lui fis part de mon message ; il en parut un peu surpris, réfléchit quelque temps, et puis, sans aucune observation défavorable contre sa sœur, me dit qu’il n’avait point de place pour les loger, et me demanda où l’on pourrait les mettre. Je répondis que la place ne manquait pas ; mais il m’ordonna d’abord d’appeler Stockbrigg, pour en causer avec lui ; et, quand Stockie fut arrivé, le duc me dit de le laisser seul avec lui. Quelque temps après, Stockie vint à moi et me commanda de dire à lady Jean qu’il lui était défendu d’entrer au château… Et, après qu’elle fut repartie, le duc me demanda si j’avais vu les enfans. Je lui dis que je les avais tenus, tous les deux, dans mes bras ; que l’aîné était brun, et le plus jeune, Sholto, aussi ressemblant à lady Jean que jamais aucun enfant ressembla à sa mère.


De l’auberge voisine, où elle s’était réfugiée, lady Jean écrivit à son frère une longue lettre, que j’aimerais à pouvoir traduire tout entière. « Tout ce que je demande, à Votre Grâce, disait-elle, est de pouvoir l’entretenir quelques instans ; et si je ne réussis pas à vous convaincre pleinement de mon innocence, vous pourrez m’infliger toutes les punitions qu’il vous plaira. Je consens à subir toute votre rigueur si je ne me justifie pas de toutes les basses calomnies dont on m’a chargée. Dans l’espoir que votre bonté daignera accueillir ma supplique, et que vous voudrez bien m’appeler auprès de vous, je resterai jusqu’à demain soir dans l’auberge d’où je vous écris. Les enfans, — pauvres petits — n’ont certes encore commis aucune faute. Permettez qu’ils vous voient et vous baisent les mains ! » Le duc, qui décidément « ne pardonnait jamais, » laissa cette lettre sans réponse. Désespérée, lady Jean se retira à Edimbourg ; et là, quelques semaines après, un nouveau malheur s’abattit sur elle. Son second fils, Sholto, qui avait toujours été particulièrement fragile, mourut subitement.

Le chagrin qu’elle en eut fut si vif, et d’une sincérité si manifeste, que ses plus implacables adversaires sont forcés de convenir qu’elle avait pour cet enfant une tendresse passionnée. En fait, ce fut ce chagrin qui la tua elle-même. Elle mourut le 22 novembre 1753, à Edimbourg, « très émaciée et très affaiblie, — écrit son médecin, — mais ayant supporté sa maladie avec une patience et une résignation merveilleuses, comme aussi avec les admirables douceur et affabilité de caractère qui lui étaient naturelles. » De nouveau, sur ce point, tous les témoignages se trouvent d’accord. Jusqu’au bout, se sachant condamnée, lady Jean n’a eu de pensée que pour l’enfant qu’elle avait perdu et pour celui qui allait lui survivre. « Devant le Dieu