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pitié au spectacle de la profonde misère de cette descendante de rois, personne qui ne s’émût d’admiration au spectacle de sa douceur et de son courage. La pauvre femme ne vivait plus que pour son mari et pour ses enfans. Elle les servait elle-même, avec une tendresse et une sollicitude infinies : instruisant ses fils, se privant du nécessaire pour leur acheter des jouets ou des sucreries, et non moins infatigable à réconforter en toute manière le vieux colonel, qu’elle avait désormais à gronder ou à consoler comme un troisième enfant. Avec cela, pas une plainte. Dans le pire dénuement, écrasée sous les coups d’une malchance tragique, toujours elle gardait la résignation d’une chrétienne, et la simple dignité d’une princesse. « Lorsque je l’ai vue, racontait plus tard lord Mansheld, elle se trouvait dans l’état le plus misérable ; et pourtant sa modestie ne lui permettait pas même de paraître s’en affliger. La noble femme qu’elle était se montrait toujours, jusque sous la pression du besoin et de l’indigence : à tel point que je craignais de lui offrir mon aide, par peur qu’elle n’en fût offensée comme d’un affront. Sachant mon intention de la secourir, deux fois elle est venue chez moi sans pouvoir se résigner à me faire connaître sa situation. » Nous avons toute une série de lettres qu’elle écrivait à son mari : vraiment on n’en pourrait imaginer de plus naturelles, ni de plus touchantes. Le salut de l’âme du colonel Stewart ne la préoccupe pas moins que la santé de son corps : elle l’encourage à prendre patience, lui envoie de bons livres qu’elle l’engage à lire, se réjouit ingénument de telle de ses phrases où elle croit découvrir la trace d’un espoir, d’un retour de son ancienne foi dans la Providence.

Pendant les trois mortelles années de son séjour à Londres, son unique pensée était d’assurer l’avenir de ses enfans, en décidant son frère à les voir et à les protéger. Hélas ! toutes les lettres qu’elle écrivait au duc de Douglas étaient interceptées par le valet Stockbrigg ; et à toutes les démarches qu’elle faisait tenter par des amis, le duc répondait invariablement qu’elle eût à le laisser tranquille. Enfin, dans les premiers jours de l’année 1753, au plus dur de l’hiver, elle prit le parti de se rendre en Écosse, et de se présenter devant son frère avec ses enfans. Un des serviteurs du duc, un vieux brave homme qui l’avait connue dans sa jeunesse, nous fait un émouvant récit de son arrivée au château :


J’étais en train de traverser la cour, lorsque je l’ai vue par les barreaux de la petite porte. Elle m’a appelé ; je me suis approché ; et elle m’a dit qu’elle était venue, avec ses enfans, pour attendre le duc. Alors je lui ai proposé d’ouvrir la porte et de la faire entrer : mais elle m’a dit qu’elle