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depuis l’enfance, et l’avait toujours adorée : mais il était pour le moins aussi pauvre qu’elle, et s’était acquis, en outre, durant son exil, une si fâcheuse réputation de joueur et de quémandeur que, longtemps après le mariage, sa femme n’allait point oser avouer qu’il était son mari.

Elle s’était d’ailleurs empressée, sitôt mariée, d’émigrer sur le continent. Le nouveau couple avait séjourné d’abord à La Haye, où, comme toujours, nombre de gentilshommes, jeunes et vieux, s’étaient passionnément épris de la belle Écossaise ; et il paraît bien que celle-ci, sans jamais leur rien accorder d’autre que d’aimables paroles, ne s’était pas fait faute de leur emprunter, plus d’une fois, l’argent nécessaire à son train de vie. De La Haye, les Stewart étaient allés à Utrecht ; puis ils étaient venus à Aix-la-Chapelle, où leur séjour se prolongea pendant près d’un an. Et ce fut à Aix que lady Jean, qui jusqu’alors avait fait passer le colonel Stewart pour son « maître d’hôtel, » se vit contrainte à reconnaître publiquement qu’elle était mariée. Le fait est qu’elle était enceinte. Elle avait essayé, au début, de dissimuler son état, en portant des robes très amples et un grand manteau ; mais bientôt toutes ces précautions furent inutiles, la grossesse ayant pris un caractère particulièrement apparent. Presque à chaque repas, lady Jean éprouvait des nausées qui l’obligeaient à se lever de table ; elle marchait avec peine, pâlissait de jour en jour ; et ses robes n’étaient pas si lâches qu’elle n’eût encore, sans cesse, à les faire élargir.

Devant l’inquiétante perspective des dépenses nouvelles qui l’attendaient, elle se décida à tenter une humble démarche auprès de son frère, pour obtenir de celui-ci qu’il lui vînt en aide : le duc, toujours dominé par son valet de chambre, répondit simplement que sa sœur, pour avoir fait un mariage comme le sien, ne valait pas mieux que la dernière des filles, et que, du reste, sa prétendue grossesse ne pouvait être qu’une comédie. Alors les Stewart, se trouvant tout à fait sans ressources, affreusement endettés, et de plus en plus incapables de subvenir aux frais de leur coûteuse existence à Aix-la-Chapelle, durent prendre le parti de se transporter dans quelque autre ville, moins élégante, et où la vie leur serait moins chère. Une dame de leurs amies, à Aix, leur avait parlé de Reims : ils se rendirent donc à Reims, vers la fin de mai 1748, et se logèrent très modestement chez une vieille dame, Mme Andrieux, qui possédait une maison sur la paroisse Saint-Jacques. Ils y passèrent un mois d’une tranquillité parfaite, et y seraient restés plus longtemps encore si, malheureusement, leur hôtesse ne s’était avisée de leur dire « que les médecins, à Reims, étaient