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vrai, et qu’en bon citoyen, il serait heureux qu’on pût éviter ainsi une guerre civile, mais que malheureusement il n’était que trop sûr de ce que Catilina voulait faire. « Dans trois jours, disait-il, vous saurez où il est allé. » Il était parti par la voie Aurélia, qui en effet pouvait mener à Marseille comme à Fæsulæ. Il semblait s’éloigner à regret et marchait lentement. Il s’arrêta même pendant trois jours à Arretium, chez un ami. De là, il se rendit au camp de Manlius où il revêtit les ornemens consulaires et se lit précéder par les faisceaux. C’était jeter le masque. Le Sénat, en l’apprenant, les déclara, lui et Manlius, ennemis de la patrie ; c’était les mettre tous les deux hors la loi.

Le jour de son départ, il se passa un événement qui dut faire une impression profonde dans Rome. Un jeune homme, A. Fulvius, fils d’un sénateur, qu’entraînait sans doute cet empire que Catilina exerçait sur la jeunesse, se mit en route pour le suivre ; mais il fut rejoint par son père, qui le ramena chez lui, le condamna à mourir et le fit exécuter. On n’était plus accoutumé à ces sévérités d’autrefois, et il est probable que beaucoup en furent épouvantés. Salluste, qui a raconté le fait, n’ajoute pas un mot d’éloge ou de blâme. Quelques années plus tard, Virgile, dans le souvenir qu’il donne aux grands Romains de la république ayant à dépeindre le consul Brutus, juge et bourreau de ses enfans, se demande quel jugement la postérité portera sur cette action que les aïeux ont glorifiée. Quant à lui, il ne peut s’empêcher de jeter un cri d’immense pitié :


Infelix ! utcumque ferent ea facta nepotes,
Vincet amor patriæ !


GASTON BOISSIER.