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pauvre héros, l’effort fatigué de ses facultés sans but, son étreinte de l’impossible, son ennui. « Ce mot d’ennui, pris dans l’acception la plus générale et la plus philosophique, est le trait distinctif et le mal d’Oberman : ç’a été en partie le mal du siècle, et Oberman se trouve ainsi l’un des livres les plus vrais du siècle, l’un des plus sincères témoignages dans lesquels bien des âmes peuvent se reconnaître. » Sainte-Beuve voit en lui le type de ces sourds génies qui avortent, de ces existences retranchées, nous dirions : de ces ratés. « J’en appelle à vous tous qui l’avez déterré solitairement, depuis ces trente années, dans la poussière où il gisait, qui l’avez conquis comme votre bien, qui l’avez souvent visité comme une source à vous seuls connue, où vous vous abreuviez de vos propres douleurs, hommes sensibles et enthousiastes, ou méconnus et ulcérés, génies gauches, malencontreux, amers ; poètes sans nom, amans sans amour ou défigurés. » Le cas de René est tout au moins une « crise, » une exaspération de la sensibilité sous l’aiguillon du désir. « J’étais accablé d’une surabondance de vie. Quelquefois je rougissais subitement et je sentais couler dans mon cœur comme des ruisseaux d’une lave ardente ; quelquefois je poussais des cris involontaires et la nuit était également troublée de mes songes et de mes veilles… Je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni pluie, ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur. »

Il y a un mal créé par l’abus de l’observation intérieure et l’habitude du repliement sur soi. Ce mal de l’analyse est celui dont souffre Adolphe. Parce que ce monde est imparfait et que c’est le règne des apparences, toute action suppose une part d’illusion et de duperie : Adolphe est victime de son impitoyable clairvoyance. Comment goûter les prémisses d’un sentiment dont on escompte déjà la fin ? Comment savourer un plaisir, dont on sent déjà le regret au cœur et l’amertume aux lèvres ? Entre toutes les opinions dont chacune lui présente un point faible, entre tous les partis dont chacun le frappe par ce qu’il a de désavantageux, Adolphe est incapable de choisir. Il craint de ne pas obtenir ce qu’il demande et se repent de l’avoir demandé. Il délibère quand il faudrait se décider, il se juge quand il faudrait agir ; en perpétuel désaccord avec lui-même, il se sent misérable dans sa faiblesse. Ainsi il se torture et il fait souffrir les autres. Ironie, timidité, débilité, mots presque synonymes. S’il fallait maintenant recueillir la confession d’Amaury ou celle d’Octave, ce que leurs aveux nous dévoileraient, ce seraient des tares d’un ordre