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divisions et ses subdivisions, passe devant nos yeux. Le peuple devait trouver un grand plaisir à ces portraits si vivans et sous lesquels il était aisé de mettre des noms propres. Cicéron insiste moins sur l’armée de l’ordre ; une courte énumération lui suffit : il se contente de rappeler qu’elle comprend le Sénat, les chevaliers, le véritable peuple romain, les colonies, les municipes, « la fleur et la force de l’Italie. » S’il n’en dit pas davantage, c’est qu’il n’a pas beaucoup de bien à en dire ; il conserve peu d’illusions sur ses partisans : il sait par expérience qu’on ne les retrouve pas toujours au moment du danger, qu’ils sont timides, irrésolus, attachés à leur intérêt, qu’ils craignent de se compromettre, qu’ils tiennent surtout à n’être pas troublés dans leur tranquillité. Ce qui prouve qu’il les connaît, c’est qu’à deux reprises, il leur promet qu’il conservera la paix « sans qu’ils se donnent aucun embarras et que leur repos soit troublé[1]. » Ils n’étaient pas gens à sacrifier la régularité de leurs habitudes et de leurs plaisirs au salut de la république.

Une des raisons qui rendaient Cicéron si heureux du départ de Catilina, c’est qu’il lui semblait que désormais il ne pouvait rester de doute sur ses projets. « Enfin, disait-il, nous allons combattre au grand jour ; le voilà réduit à faire ouvertement son métier de brigand. Le but que je me proposais, je l’ai atteint, il n’y a plus personne qui ne soit forcé d’avouer l’existence de la conjuration. » Il se trompait, tout le monde ne fut pas convaincu. Il restait des gens, — en petit nombre sans doute, — qui affectaient de croire, ou de dire, que Catilina n’était pas coupable et qui accusaient le Sénat de l’avoir exilé sans jugement. Ils disaient que cet homme de bien avait accepté sans se plaindre un arrêt injuste, pour ne pas troubler la tranquillité publique ; qu’il n’était pas vrai, comme on le prétendait, qu’il se rendît au camp de Manlius ; qu’au lieu d’aller prendre le commandement de troupes révoltées, il se dirigeait tout simplement vers Marseille, c’est-à-dire vers la ville que les grands personnages bannis de Rome choisissaient de préférence pour y passer le temps de leur exil. C’est ce qu’avait prétendu Catilina lui-même en partant, et ce qu’il écrivit à quelques-uns de ses amis, sans doute pour qu’on n’eût pas l’idée de le poursuivre. Cicéron se contentait de répondre qu’il voudrait bien que ce fût

  1. II Catil., 12 : Sine vestro motu, sine ullo tumultu. — 13 : Minimo motu, nullo tumultu.