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inconnue en plein chenal du Four, près de Brest. Ce fut ensuite le Hoche qui toucha sur une roche également inconnue, à l’entrée de la baie de Quiberon. Ce fut, en 1895, le navire-amiral et deux autres cuirassés de l’escadre de la Méditerranée qui touchèrent sur un haut-fond non porté sur les cartes en rade d’Hyères.

Bientôt les alertes du Niger et de Fachoda attirèrent l’attention sur l’insuffisance des cartes des abords de nos grands ports militaires. Brest et Lorient, les deux centres principaux de nos constructions navales, sont couverts du côté du large par une série d’îles et d’îlots, entre lesquels ceux de Molènes et des Glénans ont une importance particulière. Ces deux archipels sont composés en effet de centaines de rochers et d’îlots qui avaient été laissés à peu près complètement de côté par Beautemps-Beaupré. On y trouve cependant des passes profondes et des mouillages très sûrs, mais où nos torpilleurs n’osaient pas s’engager, faute de cartes. Or l’importance stratégique de ces deux archipels est considérable. Le premier couvre les abords de Brest du côté de la Manche, commandant les passes du Four et du Fromveur. Le second commande la route de Brest à Lorient et à Quiberon. Une puissance ennemie aurait pu en prendre possession, dès le début de la guerre, en faire un levé rapide et y constituer un centre d’opérations pour ses destroyers, sans que nos torpilleurs eussent pu les y poursuivre. Et le fait est que, suivant des informations reçues après coup, tel avait bien été le plan de nos adversaires éventuels[1].

L’étendue du danger décida à des mesures immédiates et radicales. Une révision de nos cartes, telle que celles auxquelles procède de temps en temps le service géographique de l’armée, eût été insuffisante. On préféra une réfection complète de notre hydrographie et l’on commença par les abords de nos ports de guerre.

  1. Il est bon de rappeler qu’un coup de main semblable fut exécuté par les Anglais pendant les guerres de la Révolution. Ils s’emparèrent des îles et des îlots qui ferment la baie de Quiberon du côté du Sud, et firent de cette admirable baie un centre d’opérations contre la côte Sud de Bretagne ; de là ils commandaient Lorient et la Loire. Ils en balisèrent les passes et les dangers ; et nos officiers, impuissans, assistaient du haut de la Tour du port de Lorient à leurs mouvemens et à leurs évolutions. C’est là qu’en particulier ils préparèrent à loisir, en 1800, la grande expédition qui devait nous chasser de l’Egypte après les glorieuses mais éphémères victoires de Bonaparte. (Voir la Chronique maritime du port de Lorient pendant la Révolution, par le commandant Lallemand. Revue maritime, 1902.)