Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/908

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les bravos de son auditoire. « Elle à une continuelle préoccupation d’applaudissemens, écrit Horace Walpole ; vous diriez qu’elle pose constamment pour son portrait devant le biographe. »

Sur cette faiblesse de son amie, notre héroïne insiste à mainte reprise, et plus qu’on ne voudrait, quand on songe aux titres réels que Mme de Boufflers s’était acquis à la gratitude de Julie. N’avait-elle pas, l’une des premières, pris publiquement parti pour la jeune fille dans sa querelle avec Mme du Deffand, bien qu’elle fût de tout temps liée avec la marquise ? Et, sans rompre entièrement avec la société de Saint-Joseph, n’avait-elle pas été depuis l’une des plus assidues dans le salon rival ? Elle se vit, il faut bien l’avouer, mal récompensée de ce zèle, car Mme du Deffand lui en voulut à mort, et Mlle de Lespinasse ne lui en sut qu’un gré insuffisant. Non pas que cette dernière soit absolument insensible à l’amitié de Mme de Boufflers : « Je me fais un grand plaisir de vous retrouver, lui écrit-elle[1]après une séparation assez longue. Votre absence m’est pénible à plus d’un égard, goût, besoin, habitude ; cette dernière raison est la moins forte ; ce n’est que dans les choses indifférentes qu’elle tient lieu de sentiment. Adieu, madame, je désire fort de vous revoir, et vous vous trompez si vous croyez que je me passe aisément de vous. » Elle ne ferme pas davantage les yeux de parti pris sur ses rares qualités : « Elle est bien aimable[2], je l’ai vue beaucoup cette semaine. Elle vint dîner chez Mme Geoffrin mercredi ; elle fut charmante ; elle ne dit pas un mot qui ne fût un paradoxe ; elle fut attaquée, et elle se défendit avec tant d’esprit que ses erreurs valaient autant que la vérité. » Mais l’ironie suit de bien près l’éloge : « Elle nous dit que, dans le temps où elle aimait le mieux l’Angleterre, elle n’aurait consenti à s’y fixer qu’à la condition qu’elle y aurait amené avec elle vingt-quatre ou vingt-cinq de ses amis intimes et soixante ou quatre-vingts autres personnes qui lui étaient nécessaires absolument ; et c’était avec beaucoup de sérieux, et surtout beaucoup de sensibilité, qu’elle nous apprenait le besoin de son âme[3], » Dans le passage suivant, l’égratignure est plus marquée : « Dans mes longues insomnies[4], je suis venue

  1. Archives du château de Talcy.
  2. Lettre du 21 octobre 1775 à Guibert. Édition Asse.
  3. Lettre du 21 octobre 1774, à Guibert. Édition Asse.
  4. 18 octobre 1775, idem''. La lettre autographe contient en toutes lettres le nom de Mme de Boufflers, dont la lettre publiée ne donne que les initiales.