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V

Pendant le discours de Cicéron, Catilina s’était ressaisi ; quand le consul se rassit, il prit la parole pour lui répondre. Il voyait bien que l’assemblée ne lui était pas favorable et qu’il fallait d’abord la ramener. Au lieu de ce ton insolent qu’il avait pris dans la séance où il répondit à Caton, Salluste dit « qu’il baissa les yeux et parla d’une voix suppliante ; » ce n’était pas son habitude. Mais il n’avait pas les mêmes raisons de ménager Cicéron ; au contraire, il chercha en le malmenant à flatter les passions aristocratiques de son auditoire. Il parla de la gens Sergia, des services de ses aïeux et des siens et « demanda s’il était possible de croire qu’un patricien, comme lui, issu d’une telle race, eut voulu perdre la république, tandis qu’elle serait sauvée par M. Tullius, un citoyen de la veille, presque un étranger[1]. » Il voulait continuer sur ce ton, mais on ne le laissa pas poursuivre ; les belles paroles du consul résonnaient encore à toutes les oreilles. Il fut interrompu, traité par tout le monde d’ennemi public et sortit furieux de la curie.

Il ne lui restait plus qu’à quitter Rome. On a vu qu’il y était décidé. Il paraît bien pourtant qu’au dernier moment il hésita, puisqu’on dit « qu’il roulait mille projets dans son esprit. » Il allait jouer la partie suprême et pouvait se demander si vraiment il avait raison de s’éloigner du Forum et du Sénat et de laisser à d’autres la direction de son entreprise. Mais, d’un autre côté, il voyait que le gouvernement se préparait à la lutte et qu’il allait lever des troupes. Il avait intérêt à le devancer et à mettre sa petite armée en mouvement, avant qu’on eût le temps de réunir des légions. De plus, la scène à laquelle il venait d’assister devait lui donner à réfléchir. Il ne pouvait plus douter du changement qui se faisait dans l’opinion publique. Ses projets commençaient à être connus et condamnés. Le consul et le Sénat avaient, pour la première fois, donné quelques preuves d’énergie : on pouvait s’attendre à tout. Au milieu de la nuit, pendant qu’il écrivait à Catulus pour l’informer de ses résolutions, on vint lui dire qu’on se préparait à l’arrêter[2]. Il le crut, et se hâta de partir avec quelques fidèles.

  1. Le terme dont se servit Catilina est plus vif. Il dit que Cicéron était à Rome un simple locataire, inquilinus.
  2. Sali., 35 : plura quum acribere vellem, nuntiatum est vim mihi parari.