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REVUE DES DEUX MONDES.

Partout le bois se fend, la peinture s’écaille,
Le mobilier n’est plus qu’une ignoble antiquaille ;
Car les rats, — j’en ai vu trois ou quatre s’enfuir, —
Ont rongé le satin, le velours et le cuir.
Pas une étoffe n’est par leurs dents épargnée.
Un voile épais et gris de toiles d’araignée
Cache, dans le foyer, la plaque et son blason.
Des champignons hideux et gonflés de poison
Poussent dans tous les coins. Sur la tapisserie,
Vénus sortant de l’onde est de lèpre pourrie,
Et les planchers branlans fléchissent sous les pas.

Un miroir était là, fêlé du haut en bas.
Je vis, tant m’obsédait cette horrible agonie,
Un spectre, — c’était moi, — dans la glace ternie.

Mais un détail navra mon âme jusqu’au fond.
C’était tout simplement un tricot comme en font
Les dames des châteaux pour les pauvres familles,
Un tricot traversé de deux blanches aiguilles,
Qui, depuis le moment du funeste abandon,
Était resté sur le marbre d’un guéridon
Où j’aurais pu tracer mon nom dans la poussière.
Oui, cet humble travail qu’une main noble et fière
Avait abandonné depuis cet ancien jour,
Affirmait tristement le départ sans retour,
Et plus que ce château que, dans un temps très proche,
Les limousins mettront par terre à coups de pioche,
Plus que ce parc sauvage où les ronces ont crû,
Il m’adressait l’adieu d’un monde disparu.

Ô France du passé, dans ma mélancolie,
Alors tu me semblas pour toujours abolie,
Bien morte, sans laisser souvenirs ni regrets

Mais j’étais entouré de vivans, les portraits.



Noirs et fumeux dans leurs bordures dédorées,
Ils garnissaient les murs des salles délabrées