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ne défend. Le successeur choisi d’Edouard le Confesseur, l’élu de la nation, Harold, voit marcher contre lui à l’improviste une armée que toute la bravoure désespérée des Anglais ne parvient pas à repousser. Ils tiennent ferme jusqu’au bout, aucun ne s’est rendu ; la terre à telle place, nommée toujours Bataille (Battle), pleure encore du sang, la tête coupée de Harold ne sera reconnaissable que pour Edith au cou de cygne, errante parmi les cadavres à la recherche du bien-aimé. En vain la mère du chef vaincu offre-t-elle de payer ce corps mutilé au poids de l’or.

On se demande vraiment pourquoi une grande partie de la noblesse britannique revendique si haut des origines normandes, origines distinctement françaises, beaucoup de noms l’attestent. Il y a là un singulier oubli de l’écrasante défaite de l’Angleterre qu’un groupe d’archéologues de chez nous, partis de Normandie, comme jadis le Conquérant, allèrent célébrer l’an dernier par l’érection d’une pierre commémorative. Toute la ville de Hastings se joignit à eux et leur fit grand accueil. Il y eut en leur honneur des fêtes dont j’ai entendu le récit. Elles s’ouvrirent par une allocution du clergé et une prière, ce qui ne fut pas sans surprendre les délégués d’un pays où Dieu n’est guère mêlé aux solennités municipales ; puis commencèrent les banquets et les réjouissances. A leur tour, après cette réception chaleureuse, les hôtes de Hastings invitèrent les habitans à visiter Rouen. Ceux-ci en effet s’y rendirent, beaucoup plus nombreux que les Français n’étaient venus. L’hospitalité ne fut ni moins cordiale, ni moins large. On leur fit faire connaissance avec Corneille, sans s’informer beaucoup d’ailleurs de l’intérêt que la plupart d’entre eux pouvaient prendre à Rodogune et, en échange du monument commémoratif de la bataille de Hastings, le maire de cette cité dota notre ville de Rouen d’une plaque en l’honneur de Jeanne d’Arc. Il faut dire que les deux noms étrangers auxquels le plus vif et le plus constant hommage est rendu en Angleterre, sont les noms de Jeanne d’Arc et de Napoléon.

N’y a-t-il pas dans cet échange de politesses un côté joliment comique avec le fond de gravité qui accompagne toute bonne comédie et qui donne ici la mesure des retours de la politique, voire même de l’histoire ?


TH. BENTZON.