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Les dames s’exercent au silence d’une façon qui m’édifie. Ignorante des finesses et des complications de ce noble jeu, je ne comprends très clairement que la partie d’un jeune couple dont les pions ne bougent guère et qui regardent dans les yeux l’un de l’autre plutôt que sur l’échiquier. Nous sortons de ce temple du silence pour goûter les gaietés de la plage, du moins ce qu’on appelle ainsi.

Promenade en voiture le long de cette superbe esplanade qui, sur trois milles, borde la mer d’un côté et supporte de l’autre trop d’hôtels, trop de pensions, trop de villas, sans parler des théâtres, casinos, restaurans fréquentés hiver comme été. Rien ne manque, sauf un grain de fantaisie ; on cherche en vain le joyeux mouvement d’un Dieppe ou d’un Trouville ; trop de constructions solides et régulières, de trop solennelles étiquettes indiquant les bains pour ladies ou gentlemen, vers lesquels roulent les cabines mouvantes. La parade, la magnifique jetée, qui avance de 900 pieds dans la mer, n’offrent aucun étalage pittoresque de toilettes hardies comme les femmes en arborent aux grèves normandes ou bretonnes. On me dit bien qu’il y a un Amusement committee dont les seules fonctions sont d’empêcher les étrangers de s’ennuyer, mais ce comité même m’inspire une certaine méfiance. Les amusemens vrais ne sont pas aussi réglés que cela ; ils s’improvisent, ils échappent à l’organisation.

Nous nous sentons en ville, dans une ville opulente de plus de 60 000 habitans ; les dames sortent vêtues comme elles le seraient à Londres ; celles qui ne sont pas des dames risqueraient vite, en se faisant trop remarquer, d’encourir l’expulsion. Tout est respectable, correct à l’excès. Et comment souffrir, — si commode qu’il soit, — cet ascenseur qui conduit prosaïquement au vieux château !

Heureusement, sur les terrasses et les parapets trop réguliers de Hastings fleurissent les chevelures blondes, les belles chairs rebondies d’une nuée de babies genre Kate Greenaway. Les enfans jouent dans le jardin public autour de la roche plate qui passe pour être la tombe du pauvre roi Harold, à moins qu’elle n’ait été la table à manger de son vainqueur. Cette idée de repas évêque le souvenir d’un épisode de la tapisserie de Bayeux : le Conquérant volant vers Hastings pour approvisionner son armée. Toute l’épopée grandiose se déroule aussitôt. La flotte, partie de Dives en France, a débarque sur cette côte que rien