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l’endroit. Nous quittons les rues neuves bordées de magasins pour les vieux quartiers de pêcheurs. Quoique Hastings n’ait plus depuis des siècles le droit de compter parmi les Cinq Ports de la côte Sud-Est, quoique le flot ait englouti une partie des falaises de grès siliceux et profondément modifié le dessin du rivage qui formait jadis un havre très sûr, c’est toujours un bon port de pêche. Hors du monde des baigneurs, j’apprends à reconnaître la population stable, officiers en retraite de l’armée de terre ou de mer, rentières aisées, veuves et demoiselles soucieuses de bonnes œuvres, autant que de tennis ou de garden parties.

Cette société paisible, sans grandes préoccupations commerciales, artistiques, littéraires ou autres, n’a jamais produit d’hommes célèbres, sauf, hélas ! Titus Oates, d’infâme mémoire (lire Macaulay) ; mais elle est, cette unique exception écartée, composée de braves gens. Ils ont fait bon accueil à nos religieuses exilées qui occupent un fort bel immeuble.

Le privilège commun à tous les citoyens de Hastings, c’est la longévité. Il n’y a pas de ville en Angleterre où la moyenne des décès soit moins élevée. On n’y meurt que de loin en loin à un âge extraordinairement avancé.

— Je le crois sans peine, dis-je à Miss Edwards, après une heure passée avec elle au Public Hall où a lieu un match d’échecs formidable. Il est évident que ces lents calculateurs sont sûrs d’avoir devant eux un temps de réflexion illimité, que la vie ne les presse pas, qu’elle leur promet des siècles de loisir pour poser judicieusement le pion suspendu entre leurs doigts.

Mais, comme la plupart des voyageurs, j’ai tiré de trop promptes conclusions qui se trouvent être fausses. Ces joueurs viennent de différentes parties de l’Angleterre, ce sont les membres de la British chess Association ; chaque année un tournoi les rassemble dans telle ou telle ville. J’ai donc tort de prendre pour une particularité locale cette expression uniforme de patience surhumaine, de ténacité implacable qui est apparemment la caractéristique de tous les joueurs d’échecs. Le Tournoi dure plusieurs jours et certaines parties, commencées dès l’aube, ne se terminent pas dans les vingt-quatre heures ; on les remet au lendemain. Une petite pendule placée sur chaque table indique le moment où s’est interrompu le combat. Alentour, des témoins, non moins taciturnes que les joueurs, sont plantés comme autant de mannequins. Il y a des amateurs, il y a des professionnels.