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Nous parlons de lui. Au milieu de toutes les louanges qui s’adressent à l’explorateur et au soldat : — Oui, dit-elle, il est très bon, l’obligeance même. Quand dans la maison quelqu’un a besoin d’un écheveau de soie, c’est toujours lui qui se trouve là pour courir le chercher. — Cet humble mérite accordé à celui qui a forcé les portes de la Ville Sainte et mis en fuite le Dalaï Lama, est si imprévu que je ne puis m’empêcher de rire. Mais il faut voir là une preuve de cette absence de fuss, d’embarras ; si remarquablement anglaise.

Et quelle simplicité dans le patriotisme, révèle cette réponse d’une mère qui a perdu son fils, jeune homme de grand avenir, aux colonies où ses deux autres fils servent encore dans les armées de terre et de mer ! Je lui parlais de son propre courage et de ses sacrifices. Elle répliqua en me citant un vers connu : « C’est par nos fils que se fait l’Angleterre ; ils la font, vivans ; ils la font, morts. » Et elle avait, avec ces paroles stoïques sur les lèvres, une grosse larme dans les yeux. Comment douter de la force d’un pays où l’amour maternel lui-même sait ainsi se contraindre, faire passer avant tout l’honneur de la nation !

Nous causons beaucoup d’œuvres sociales. Mrs W… s’intéresse à un asile d’infirmes fondé par sa sœur au bord de la mer pour y recevoir une trentaine de vieillards parmi les plus pauvres et les plus abandonnés qui soient sur ses domaines. Elle veille à ce qu’ils s’occupent dans la mesure de leurs forces, elle assure à leurs dernières années la somme nécessaire de douceurs et de distractions. L’idée lui était venue d’établir une maison de retraite semblable dans le midi de la France où elle va souvent, mais Mrs W… s’est heurtée à toute sorte de difficultés administratives. En Angleterre la bienfaisance privée s’exerce sans autant de contrôle ; elle est encouragée plutôt que contrariée ou même réglée à l’excès, et les pauvres en profitent.

Individualité, liberté, voilà vraiment les deux mots d’ordre de l’Angleterre, dont la prospérité semble croître sous un roi de plus en plus populaire, qui vaque très activement à tout ce que négligeait sa mère, accablée d’abord par la tristesse, puis par l’âge. Il est allé en Irlande et il s’y est fait acclamer. D’après ce que je recueille de côté et d’autre, il montre en général une sagesse et une entente des affaires, dont l’occasion ne s’était pas présentée pour lui de donner la preuve, tant qu’avait duré sa longue jeunesse de prince de Galles. Les Anglais se montrent