Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/831

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un mot anglais, awe, synonyme de respect et d’épouvante, pour rendre l’émotion qui vous étreint dans cette salle nouvelle occupée exclusivement par le maître. Après M. de la Sizeranne, personne ne peut rien ajouter au plus éloquent, au plus éclairé des tributs d’hommage ; pourtant M. de la Sizeranne n’avait vu que dispersées au Musée de Kensington, ou dans l’atelier du peintre, ces compositions aujourd’hui réunies, et la dernière, la Cour de la Mort, à laquelle il consacra une si belle page, ne lui était apparue qu’à l’état d’ébauche. Elle est maintenant à Tate Gallery, au milieu d’autres allégories toujours mélancoliques, mais parfois moins sévères, renouvelées par l’imagination la plus forte et la plus originale peut-être qui existe dans l’art contemporain. Coloris à part, si l’on veut, il faut admirer la vigueur avec laquelle est exprimée cette joie de mourir triomphant des fausses joies humaines, cette réelle promesse de vie succédant au néant d’ici-bas, cet élan impétueux des libérés de tout âge, accourus, sous les auspices du Silence et du Mystère, vers la Reine universelle, vigueur d’autant plus étonnante quand on a lu, au bas de la signature de Watts, les mots : « Achevé le 86e anniversaire de sa naissance. »

La réunion de dix des principaux Millais n’est pas moins caractéristique à sa manière du talent ou de la personnalité du peintre. On y voit combien les défauts mêmes d’un artiste heureux et fêté entre tous peuvent contribuer à son succès, quand ces défauts sont d’accord avec ceux du pays où le succès est obtenu. Les Anglais aiment avec exagération l’anecdote, le détail, le renseignement précis ; ceux-là mêmes qui ne seraient pas capables d’apprécier chez Millais le mérite de la peinture sont contens de savoir que la femme du Highlander qui vient délivrer son mari prisonnier est le portrait mêmes de lady Millais, que l’ordre de Levée d’écrou est copié d’après le document authentique si exactement qu’on reconnaît la signature du gouverneur de la prison ; ils retrouvent avec plaisir, sous les traits d’Ophélie emportée par les flots d’une rivière d’Angleterre, ceux de Mme Rossetti. Charles Ier et son fils posant dans l’atelier de Van Dyck, Raleigh enfant écoutant les récits d’un vieux marin, tout cela est anecdotique à souhait, de même qu’est sensationnel le sujet intitulé, Parle ! oh parle ! une belle morte constellée de diamans qui apparaît au pied du lit de son mari, tandis que celui-ci relit à la lueur d’une lampe ses lettres d’amour.