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la Duchesse. Elle a donc fait un pacte d’amitié avec notre Madame d’Orléans pour contrecarrer l’autre. C’est une plaisante comédie d’intrigues enchevêtrées, et je pourrois dire avec la chanson : si on ne mouroit pas de faim, il en fauderoit mourir de rire[1]. » La Duchesse de Bourgogne n’ignorait rien de ces intrigues, mais elle ne s’en préoccupait guère, car elle sentait son crédit s’affermir chaque jour. A la fin de l’année 1710, elle en devait recevoir une preuve éclatante. Le Roi déclara qu’il lui laissait l’entier gouvernement des affaires de sa maison et la disposition de toutes les charges qui pouvaient y devenir vacantes. Il n’avait donné pareille marque de confiance ni à la Reine, ni à la Dauphine Bavière, et l’un des courtisans qui l’approchaient de plus près lui ayant dit : « Apparemment, Sire, elle vous rendra compte de ce qu’elle fera là-dessus, » le Roi répondit : « Je me fie assez à elle pour vouloir qu’elle ne me rende compte de rien, et je la laisse maîtresse absolue de sa maison. Elle seroit capable de choses plus difficiles et plus importantes[2]. » Mme de Maintenon, dont la tendresse pour la Duchesse de Bourgogne croissait de jour en jour, se réjouissait de voir que justice était enfin rendue à celle que, dans ses lettres, elle ne cesse d’appeler sa chère princesse. Le 15 décembre 1710, elle écrivait à la princesse des Ursins : « Trouvez bon, madame, que je m’épanche avec vous sur Madame la Duchesse de Bourgogne. Après avoir souffert bien des discours sur les mauvaises mesures que je prenais sur son éducation, après avoir été blâmée de tout le monde des libertés qu’elle prenait de courir depuis le matin jusqu’au soir, après l’avoir vue haïe de tout le monde, parce qu’elle ne disait mot, après l’avoir vue accusée d’une dissimulation horrible dans l’attachement qu’elle avait pour le Roi et dans la bonté dont elle m’honorait, je vois aujourd’hui tout le monde chanter ses louanges, lui croire un bon cœur, lui trouver un grand esprit, convenir qu’elle sait tenir une grosso cour en respect. Je la vois adorée de Mgr le Duc de Bourgogne, tendrement aimée du Roi, qui vient de lui remettre sa maison entre les mains pour en disposer comme elle voudrait, et disant publiquement qu’elle serait capable de gouverner de plus grandes choses. Je vous fais part de ma joie là-dessus,

  1. Correspondance de Madame, édition Jæglé, t. II, p. 101. Les mots en italiques sont en français dans l’original.
  2. Dangeau, t. XIII, p. 295.