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pas son château habitable à cause du grand froid qu’il y souffroit[1]. »

Il devait en coûter à Monseigneur de ne plus pouvoir aller à l’Opéra, son théâtre favori, où il se plaisait à conduire la Duchesse de Bourgogne, tandis que, par scrupule, le Duc de Bourgogne demeurait à Versailles. Mais pendant la période des grands froids, l’Opéra avait dû fermer, et lorsque les représentations reprirent au printemps, la misère et la surexcitation à Paris étaient si grandes qu’il y eut, sur le passage de Monseigneur, populaire cependant à Paris, des incidens pénibles. Un soir d’avril qu’il y avait mené la Duchesse de Bourgogne et celui qu’on appelait le roi d’Angleterre, ainsi que plusieurs dames, dans trois carrosses, des femmes du peuple s’attroupent et arrêtent les carrosses, « criant au pain et montrant celui qu’elles mandaient[2]. » Monseigneur ne put se dégager qu’en leur jetant par les portières quelque argent. Il fallut éviter le retour de ces scènes et se contenter des comédies à Versailles. Du 22 décembre 1708 au 16 mars 1709, les comédiens ordinaires du Roi ne s’y transportèrent pas moins de vingt-deux fois, le registre de la Comédie-Française en fait foi. Ils y jouaient tantôt la tragédie, tantôt la comédie, tantôt Phèdre et le C… imaginaire, tantôt Tartuffe et Turcaret, alors dans sa nouveauté. La période des grands froids, où le théâtre était fermé à Paris, n’arrêta pas leurs voyages. Ils s’y transportaient en plusieurs carrosses, à leurs frais, et le coût de chaque voyage est soigneusement noté sur leur registre[3]. Au commencement de l’année 1710, la Duchesse de Bourgogne, qui arrivait au terme d’une grossesse, fit même construire un théâtre dans sa salle à manger afin de pouvoir assister plus facilement aux représentations. On ne s’y divertissait pas seulement à entendre des farces comme l’Avocat Patelin, mais on y écoutait avec plaisir le Misanthrope, Britannicus, Polyeucte. Dans le choix du répertoire qu’on représentait devant elle, la Princesse faisait preuve de goût. Elle aimait également la musique, et Sourches nous dit qu’un jour « le Roi revenant de Trianon passa chez elle où il trouva une bien belle symphonie composée de des Costeaux pour la flûte allemande,

  1. Correspondance de la marquise d’Huxelles avec le marquis de Lagarde. Bibliothèque du musée Calvet à Avignon.
  2. Ibid.
  3. Bibliothèque du Théâtre-Français. Registre des comédiens ordinaires du Roi.