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Ce fut la Duchesse de Bourgogne qui s’y opposa, car elle était plongée « dans une grande mélancolie, » et le Roi ne la voulut point contraindre[1].

Il ne pouvait être non plus question de soupers, pour une bonne raison, c’est qu’obéissant les uns à un sentiment patriotique, les autres à la mode, les autres à la contrainte morale, les principaux seigneurs de la Cour avaient envoyé leur vaisselle d’argent à la Monnaie pour y être convertie en numéraire, et s’étaient mis « à la faïence, » pour reprendre l’expression de Saint-Simon qui avoue lui-même avoir constitué, et de fort mauvaise grâce, l’arrière-garde de ces donateurs plus ou moins volontaires. Le Duc de Bourgogne avait constitué au contraire l’avant-garde, ayant, à l’exemple du Roi et de Monseigneur, envoyé à la Monnaie le peu de vaisselle d’argent qu’il possédait : exactement 73 marcs d’argent à 34 livres le marc, représentant une somme totale de 2 490 livres. On ne pouvait guère inviter ses amis à manger dans des assiettes en faïence ou même en étain. Jouer n’était guère possible ; on était trop pauvre et on n’y avait pas cœur. On se souvient que la Duchesse de Bourgogne se refusait, la veille de Malplaquet, à proposer une partie à des femmes qui avaient peut-être leurs maris ou leurs pères à la bataille. Un seul plaisir restait : la comédie, et le Roi ne voulait pas qu’on s’en privât. « Il ne se par le icy que de mauvais temps et des maladies que cela y produit, écrit la marquise d’Huxelles. Il y a pourtant des comédies à Versailles, afin de réjouir la jeune Cour. Monseigneur y est revenu de Meudon, ne trouvant

  1. Lettres de Mme de Maintenon à la princesse des Ursins, t. I, p. 380. A sa grand’mère, Madame Royale avec laquelle elle continuait, malgré la guerre, d’échanger par le service des ordinaires des lettres affectueuses, la Duchesse de Bourgogne témoignait cependant quelques regrets : « Je n’aurai pas grand’peine, lui écrivait-elle, à vous rendre compte des divertissemens de ce carnaval ; il a esté fort triste jusque à cet heure, et je crois qu’il finira de mesme. Il ne saurait y avoir de bals car il n’y a plus personne pour dancer. Il y a plusieurs dames qui sont dans de trop grands deuils, d’autres qui sont grosses et la plus part de celle qui ce marie on esté toute leur vie dans des couvens et ne savent point dancer. Il n’y a présentement à la Cour que neuf dames en estat de dancer qui ne sont la moitié que de petite fille. Je serais la plus vieille du bal, ce qui m’a osté toute envie de dancer. Je ne sais quelle folie les dames ont présantement, car, à trente ans, elle se trouve or d’âge à pouvoir dancer. Si cette mode dure, il faudra profiter du peu de temps qui me reste. » Cette lettre a déjà été publiée par la comtesse délia Rocca (Lettres de la Duchesse de Bourgogne, p. 72). Mais nous en avons rétabli le texte d’après l’original, qui est aux archives de Turin, comme spécimen de son orthographe. Elle avait cependant fait quelques progrès, si l’on compare cette lettre aux premières qu’elle adressait à sa grand’mère.