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au Sénat ? Mais peut-être fallait-il se méfier encore plus des autres. Ce sont ceux qui, sous le prétexte qu’ils n’ont pas peur, ne veulent pas croire aux dangers qu’on leur signale, et empêchent de prendre des précautions pour les éviter. Ils étaient fort nombreux dans l’entourage de Cicéron, parmi ces hommes d’esprit et ces gens du monde auxquels convient un air de scepticisme élégant, et qui craignent avant tout de paraître crédules et dupés. Ils avaient cette tactique ordinaire de fermer les yeux aux complots qu’on leur signalait, soit pour n’avoir pas l’air de les craindre, soit pour échapper à l’ennui d’en être d’avance préoccupés. Cicéron s’irritait de cette obstination d’incrédulité. Mais il comprenait bien qu’en présence de tant d’ennemis déclarés ou secrets, de tant de gens faibles et complaisans disposés d’avance à tout excuser, il ne pouvait entrer en campagne qu’avec un parti uni et convaincu. « Tu ne mourras, disait-il à Catilina, que quand il ne se trouvera plus un seul homme qui puisse croire que ta mort est injuste. » C’est ce qui explique les efforts désespérés qu’il a faits pour qu’il ne restât aucun doute dans l’esprit de personne. Il lui fut très difficile d’y réussir ; peut-être a-t-il eu moins de peine à vaincre la conjuration qu’à en démontrer l’existence.

Il était pourtant inévitable qu’elle fût un jour ou l’autre découverte de façon à convaincre les plus incrédules. En supposant même que Catilina pût dissimuler les réunions qu’il tenait à Rome, le rassemblement de troupes qui se formait à Fæsulæ ne pouvait passer inaperçu. De sinistres avertissemens arrivaient de tous les côtés. Une nuit, Cicéron fut réveillé par une visite fort inattendue. C’était Crassus, qui semblait jusque-là soutenir Catilina, mais qui avait pris peur depuis qu’il voyait clairement que les conjurés en voulaient à la propriété et à la fortune. Crassus venait apporter à Cicéron des lettres qu’il avait reçues. Il y en avait une pour lui, qu’il avait lue ; d’autres pour des sénateurs, qu’il n’avait pas voulu ouvrir, de peur de se compromettre. Celle qui lui était adressée et qui ne portait pas de signature, annonçait qu’il se préparait un grand massacre et lui conseillait de s’éloigner de Rome. En même temps on reçut de graves nouvelles de l’Étrurie. « Un sénateur, L. Suenius, apporta dans le Sénat des lettres qu’il disait arriver de Fæsulæ, dans lesquelles on lui mandait que Manlius avait pris les armes le 27 octobre et qu’il avait avec lui une troupe nombreuse. » Aucun