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massacres ; le 1er novembre, pendant la nuit, on tenterait de surprendre Préneste, une ville fortifiée, facile à défendre, qui avait déjà servi de place d’armes, du temps du jeune Marius, et qui le redevint pendant la guerre d’Antoine et d’Octave. Ces nouvelles, dont il attestait la certitude, remplirent les sénateurs d’indignation et de terreur. Il en profita pour leur faire voter le fameux sénatus-consulte dont César dit que, c’est celui auquel on a recours, dans les cas extrêmes et désespérés, quand tout est en feu et qu’on ne peut plus sauver l’Etat que par des moyens extraordinaires (extremum atque ultimum senatasconsultum). C’était la célèbre formule qui ordonnait aux consuls de veiller au salut de la République et leur conférait l’autorité nécessaire pour la sauver.

Il semble que Cicéron, aussitôt qu’il fut armé de ces pouvoirs, aurait dû s’en servir. Il n’avait pas de temps à perdre ; en frappant sans retard le chef du complot et ses partisans, il pouvait prévenir la guerre civile. Quelques-uns de ses amis trouvaient qu’il n’en avait pas seulement le droit, mais que c’était son devoir. Lui-même, quand il se rappelait les exemples qu’avaient donnés les aïeux, se faisait d’amers reproches. « Je m’accuse d’inertie ; je rougis de ma lâcheté. » Il s’en voulait de laisser ce précieux sénatus-consulte enfermé dans sa gaine « comme une épée dans son fourreau. » Pourquoi donc n’a-t-il pas pris à ce moment une initiative plus vigoureuse ? D’abord, il faut bien l’avouer, les résolutions énergiques n’étaient pas dans son caractère ; mais, de plus, il avait ici des raisons d’hésiter qui se seraient imposées à de plus fermes que lui. Dans les circonstances graves où il se trouvait, quand il savait que tant de gens étaient prêts à se mettre du côté de Catilina, il ne pouvait tenter un coup d’autorité qu’à la condition d’être sûr qu’il serait approuvé et suivi de tout son parti. Or ce parti était celui des modérés, des conservateurs, et la pratique des affaires, lui avait appris que l’énergie, la persistance, la décision ne sont pas leurs qualités ordinaires, et que, comme il le dit, le gouvernement est en général mieux attaqué qu’il n’est défendu. Il connaissait ses amis à merveille, et les divisait en deux catégories, très différentes entre elles, mais également dangereuses pour la République. « Il y a, disait-il, ceux qui ont peur de tout, et ceux qui n’ont peur de rien. » Quel fond pouvait-on faire sur les premiers, qui restent chez eux dans les momens décisifs ou quittent Rome quand il faudrait aller voter