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se défaire. Chacun avait ses victimes désignées ; Céthégus s’était chargé de Cicéron. Pendant ce temps, les soldats de Catilina arrêteraient ceux qui tenteraient de fuir, en sorte que personne ne pourrait échapper. La besogne ainsi mise en train, les conjurés de l’intérieur se réuniraient à ceux qui entouraient la ville, et tous s’avançant ensemble, la curée commencerait.

Je sais bien que l’atrocité du projet a fait naître des doutes sur sa réalité ; on a cru y voir ou bien une invention de l’imagination populaire affolée par la peur, ou quelque manœuvre les ennemis de Catilina qui ont exagéré la faute pour faire excuser la rigueur de la répression. Mais je ne crois pas qu’ici ces hypothèses puissent être acceptées. Non seulement tous les écrivains de l’antiquité rapportent ces projets sinistres et donnent sur eux des détails précis, mais Cicéron les a reprochés à Catilina lui-même en plein Sénat, dans une séance solennelle, et nous ne voyons pas que Catilina s’en soit défendu. Le lendemain, quand il venait de partir, Cicéron a repris les mêmes accusations, en présence de ses complices, qu’il semblait désigner de son geste vengeur : « Je les vois, disait-il, ceux qui ont réclamé pour eux cet horrible office comme un honneur. » Aurait-il parlé avec tant d’assurance s’il avait craint d’être démenti ? Quelques jours plus tard, dans le sénatus-consulte où l’on décrétait des supplications aux dieux à propos de l’affaire des Allobroges, Cicéron était remercié solennellement « d’avoir préservé la ville et ses citoyens du massacre et de l’incendie. » Il semble bien qu’à ce moment personne ne doutât des crimes dont le consul accusait Catilina, et même ce qu’ils avaient d’excessif et presque de grandiose, et qui a fait naître de nos jours quelques défiances, paraissait convenir tout à fait à celui dont Salluste nous dit « que son âme vaste nourrissait sans cesse des projets démesurés, incroyables, gigantesques. » A la vérité, ceux qui se refusent à l’en croire capable répondent qu’il n’était pas homme à commettre des crimes inutiles et qu’ils ont peine à comprendre de quelle utilité ceux-là étaient pour lui. « Catilina, disait Napoléon III en 1865, ne pouvait méditer une chose aussi insensée : c’eût été vouloir régner sur des ruines et des tombeaux[1]. » Il est probable que six ans plus tard, après la Commune et les événemens qui ont suivi, l’auteur de la

  1. Histoire de Jules César, I, 275.