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maréchal Niel intervient d’un ton très insistant ; Gressier continue à se taire. Enfin Rouher relevant sa mèche sur son crâne, comme il faisait au moment des grandes actions oratoires, prend la parole avec emportement, menaçant plutôt que discutant : la Commission n’avait qu’à bien réfléchir ; l’Empereur était résolu à ne point reculer, dût-il aller jusqu’à une dissolution. Gressier continue à demeurer silencieux. On se regarde sans rien dire, pendant près d’un quart d’heure. Les ministres comprirent qu’ils n’avaient qu’à se retirer. Après leur départ, certains membres s’étonnèrent que le rapporteur eût gardé le silence : « Quand les questions se posent d’une certaine manière, répondit Gressier, on ne discute pas, on délibère ; délibérons donc. » La Commission confirma ses résolutions.

L’Empereur pensa d’abord à relever le défi qu’on lui jetait et à recommencer en France la lutte du roi Guillaume contre son Parlement. Rouher déploya à l’en détourner autant de véhémence qu’il en avait mis à intimider la Commission. Une dissolution serait funeste à son système de gouvernement ; le pays, touché dans un de ses intérêts vitaux, prendrait feu ; l’opposition compacte, disciplinée derrière un mot de ralliement si simple, enlèverait le corps électoral et l’Empereur aurait à subir, non seulement la loi militaire qu’il repoussait, mais tout ce système de liberté auquel il ne pouvait encore se décider. Le maréchal Niel fléchit à son tour. Il se dit que, même avec les modifications imposées, la loi donnerait une assiette plus solide à notre force militaire : l’essentiel, l’accroissement du service et la constitution d’une réserve, était conquis, le principe de la garde mobile admis ; avec ces élémens on pourrait avoir une armée assez forte pour parer aux éventualités prochaines. « Il eût mieux valu obtenir davantage, mais ce qu’on aurait serait suffisant. » Et sans même prendre les ordres de l’Empereur, il entra en pourparlers avec la Commission et lui accorda que toute la classe ne serait pas incorporée, et qu’un contingent annuel serait fixé par la Chambre.

L’Empereur fut douloureusement surpris de cette concession de son ministre. Quand on vint la lui apprendre, il laissa tomber sa tête dans ses mains et demeura quelques instans accablé. Abandonné par tous, il n’avait plus qu’à se résigner lui aussi. Gressier constata la victoire de la Commission dans son rapport du 8 juin 1867. La session touchait à son terme ; il fallut ajourner la discussion.