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opiniâtreté calme. La réflexion se révélait dans le front bien fait, vaste, haut, couronné par des cheveux ondulés ; la volonté, dans l’œil légèrement ombragé, dont le regard concentré ne se dispersait pas en éclairs fugitifs, et dans le menton porté en avant par une petite barbiche ; l’opiniâtreté calme se marquait dans l’ensemble des traits dont aucun ne heurtait l’autre et qui venaient tous doucement se rattacher à un nez régulier, droit, fin ; la bouche même, quoique ombragée par une forte moustache, restait aimable. Il inspirait autant de sympathie que de respect. On sentait un homme d’autorité, capable de diriger les autres parce qu’il demeurait toujours maître de lui-même et, en même temps, un cœur bon, appliqué à ne pas rendre l’obéissance pesante. Quand il commandait, il ne grossissait pas la voix, sachant que son commandement ne risquait pas d’être affaibli par une affabilité encourageante, et sa bienveillance n’avait pas plus de faiblesse que sa fermeté de rudesse. Il ne montrait de raideur et au besoin de colère que contre ceux qui tentaient d’empiéter sur ses prérogatives légitimes ou qui contrecarraient à l’étourdie des plans auxquels il demeurait d’autant plus attaché qu’il les avait longuement médités. Néanmoins sa foi en ses idées, quelque absolue qu’elle fût, et quoiqu’il ne la déguisât point, n’était accompagnée d’aucune jactance blessante. Au feu, sous les excitations de la fusillade, il ne s’emportait pas aux fougues fanfaronnes ou irréfléchies ; il n’avait que la bravoure utile à l’accomplissement du devoir présent et cette valeur tranquille ne tenait pas à la froideur de son âme, mais à son équilibre. Quoique prompt à comprendre, il était assidu au travail, sa curiosité s’étendait dans toutes les directions de l’activité intellectuelle. Ce n’était pas seulement un soldat, c’était aussi un esprit politique, un diplomate habitué à éclaircir les affaires, à se mouvoir au milieu des compétitions de personnes et à les concilier. Il avait captivé l’Empereur par des empressemens dans lesquels n’entrait aucune servilité, et il en obtenait autant de confiance que de déférence. Le souverain aimait à le consulter, à le charger de missions difficiles et, sans l’opposition de Vaillant, il l’eût nommé commandant en chef en Crimée à la place de Canrobert[1]. Il le fit maréchal après Solférino[2].

Dès qu’il fut entré en fonctions, Niel consacra toutes ses

  1. Empire libéral, t. III, p. 292.
  2. Id., t. V, p. 106.