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rendre inutile le vote annuel du contingent en appelant la classe tout entière ; on se heurterait à une résistance obstinée du Corps législatif, et on fournirait des argumens à une opposition qui mettait dans son programme une réduction du contingent de 100 000 à 80 000 hommes et de toutes les dépenses de la Guerre. . — « Dites la vérité au pays, répliquèrent les militaires, montrez-lui la situation politique extérieure telle qu’elle est depuis les derniers événemens ; faites-lui connaître les dangers auxquels cette situation expose, et il ne vous refusera pas les moyens de fortifier son armée. » Mais comment Rouher pouvait-il dire au pays qu’il était en péril, après son fameux discours où il avait soutenu que, coupée en trois tronçons, l’Allemagne était moins menaçante et que notre sécurité était accrue au lieu d’être diminuée ? Ainsi la première opposition aux mesures décisives que voulait adopter Napoléon III lui vint de ses ministres civils. « Ces ministres, dit le général Lebrun, eurent raison de la Commission, de l’Empereur, et, j’oserai dire, contre l’Empereur lui-même, parce qu’il partageait les idées de ses généraux. »

Quand l’élément militaire eut été vaincu par l’élément civil, l’Empereur, ne voulant pas abandonner son idée de l’augmentation des effectifs par l’établissement d’un service universel, remania comme il suit, avec le maréchal Niel, très fertile en ressources, son projet primitif. Jusque-là, la classe était coupée en deux : armée active et réserve ; elle le serait en trois : armée active, réserve, garde mobile. Tout Français âgé de vingt ans révolus, capable ou non exempté, servirait six ans, soit dans l’armée active, soit dans la réserve, et trois dans la garde mobile : toute la classe serait ainsi appelée, et la loi annuelle du contingent n’aurait plus d’autre objet que de déterminer dans quelle proportion les appelés se répartiraient entre l’armée active et la réserve d’après le tirage au sort. L’exonération étant maintenue avec quelques modifications, les exonérés passeraient neuf ans dans la garde mobile, avec obligation de s’équiper à leurs frais. Ainsi, avec plus ou moins de rigueur, chaque classe était soumise tout entière au devoir militaire pendant neuf années.

Les ministres civils acceptèrent ce projet, qui ne fut pas du goût des militaires. La garde mobile leur parut un rouage perturbateur ; elle compliquerait tout, coûterait beaucoup, obligerait à réduire les dépenses pour l’armée active, et, en temps de