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envoyée atteignit le chiffre de 200 000 hommes. Pour l’alimenter, il avait fallu, pendant plusieurs années, élever les contingens à 140 000. Mais on ne pouvait pas utiliser les jeunes conscrits à combler les vides avant qu’ils eussent reçu une instruction suffisante ; renvoyer des jeunes gens de vingt ans mal instruits, c’eût été dépenser de l’argent inutilement, peupler les hôpitaux, et introduire dans le rang un élément qui eût diminué la valeur du tout. On avait été obligé, pendant qu’ils s’instruisaient dans les dépôts, de prendre dans chaque régiment resté en France un certain nombre d’anciens soldats, ce qui avait affaibli les corps.

La paix signée, l’Empereur revient sans cesse sur ce sujet avec son ministre de la Guerre : « J’ai étudié le tableau de l’effectif général de l’armée que vous m’avez envoyé. Il en résulte pour moi cette vérité que l’effectif ne peut pas rester tel qu’il est. J’aimerais mieux vendre ma chemise que de le laisser ainsi. D’ailleurs, je suis fâché de vous le dire, je ne crois pas même à la sincérité des chiffres de votre tableau et, pour établir un contrôle, je vous prie de m’envoyer demain l’effectif des hommes qui sont aux bataillons de guerre et aux dépôts des régimens suivans, etc. » (17 février 1858.) « Les chiffres relatifs à l’effectif font mon malheur parce qu’ils ne sont jamais exacts. François Ier disait à l’historien Paul Jove qu’il attribuait la perte de la bataille de Pavie aux faux états de situation que lui avaient donnés ses généraux. J’espère qu’il n’en sera point de même. Mais répondez à cette question. D’après les états que je vous renvoie, tous les régimens, dépôts compris, auraient plus de 2 000 hommes. Or, d’après les états de situation du maréchal Magnan, du maréchal Castellane, du maréchal Canrobert et d’après les questions que j’adresse à tous les colonels que je vois le dimanche, il y a à peine dix régimens en France qui aient 1 900 hommes, tout compris ; je tiens à avoir le cœur net sur cette importante question. » (21 février 1859.)

On s’attend à ce qu’après ces cris d’alarme, des mesures sérieuses aient été prises. Il n’en fut rien. Dès que l’on n’élevait pas les effectifs, en maintenant les contingens de 140 000 hommes, il n’y avait qu’un moyen d’y parvenir, c’était de constituer, à l’état de réserve instruite et sérieuse, la partie de la classe non appelée sous les drapeaux. Mais cela acheminait au service universel : l’Empereur recula devant cette mesure qui eût suscité