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remplaçans n’étaient plus des individus quelconques, mais des militaires sous le drapeau se rengageant et recevant des primes, de manière qu’aucun ne fût retenu sous le drapeau après quarante-sept ans. La Caisse de dotation n’était autorisée à chercher des remplaçans hors de l’armée et à opérer ce qu’on a appelé des remplacemens administratifs, qu’au cas où les exonérations seraient plus nombreuses que les rengagemens.

Il y avait dans cette Caisse de dotation une idée fondamentale momentanément rattachée au remplacement, mais qui en est indépendante et mérite de lui survivre, celle de constituer une armée de métier composée de professionnels, assurant au rang la même permanence stable qu’aux cadres. Sans doute une armée de métier, vu les exigences de la guerre moderne, a l’inconvénient d’être trop restreinte ; il faut la compléter par un élément mobile qui lui donnera le nombre. Le problème paraît avoir été résolu en principe par Frédéric : son armée se composait de soldats racolés dans tous les pays, servant leur vie entière ; en temps de guerre, on levait des conscrits qui venaient s’encadrer au milieu des vieux soldats, et devenaient vite une troupe excellente ; ils composaient les deux tiers de l’effectif qui soutint la guerre de Sept Ans. Il eût suffi, pour que ce système fût parfait, que le service des permanens finît au plus tard à cinquante ans, et que, même en temps de paix, les milices de conscrits fussent exercées un an au moins.

Une certaine école professe un profond mépris pour « la vieille culotte de peau. » Moi-même, cédant à ce préjugé, j’ai dit autrefois que c’est une calamité. Ils sont, dit-on, indisciplinés, alcooliques, sans élan, égoïstes, ménagers de leur vie, tandis que les jeunes ont le feu sacré, l’enthousiasme, le dédain du danger, l’âame ouverte aux nobles inspirations patriotiques. Or, il n’est pas sûr qu’il n’y ait pas toujours parmi ces jeunes gens autant d’alcooliques que parmi les vieux ; il y a certainement plus d’élan et d’enthousiasme, mais l’élan et l’enthousiasme sont de peu de durée à la guerre ; le mépris de la mort n’y est pus même la plus essentielle qualité ; ce qu’il faut surtout, c’est l’endurance à la fatigue et aux privations, le courage à supporter les longues marches, à bivouaquer en plein air, à manger maigrement ou pas du tout, à marcher dans la boue, à ne pas se décourager des difficultés renaissantes, à ne pas convertir les échecs en paniques, et c’est par quoi le vieux soldat aguerri l’emporte