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vaincues paient à la république. « Qui peut souffrir qu’ils regorgent de richesses et qu’ils les dépensent sans compter à couvrir la mer de constructions, à aplanir des montagnes, tandis que nous manquons des choses les plus nécessaires à la vie ? Ils bâtissent plusieurs palais qui se suivent, et nous autres, nous n’avons pas même quelque part un foyer de famille. Ils ont beau faire toutes les folies, acheter des tableaux, des statues, des vases ciselés, démolir les maisons qu’ils viennent de construire pour en élever d’autres, ces bourreaux d’argent, malgré leurs efforts, ne réussissent pas à venir à bout de leur fortune. Et nous, quel est notre lot ? La misère chez nous, des dettes au dehors, un triste présent, un avenir plus triste encore ; c’est à peine s’il nous reste ce misérable souffle qui nous fait vivre. » Il me semble donc que ce discours, quand on sait le lire, contient la pensée de Catilina. Elle est plus visible encore dans les quelques lignes dont Salluste le fait suivre. Il suppose que quelques-uns des conjurés, à qui sans doute la rhétorique était un peu suspecte, et qui tenaient à bien savoir à quoi ils s’engageaient et sur quels profits ils pouvaient compter, demandèrent au chef de parler plus nettement et sans phrase. « Il leur promit alors, dit Salluste, la diminution ou l’abolition des dettes[1], la proscription des riches, la possession des sacerdoces, des magistratures, le pillage, et tout ce que peut se permettre, dans des luttes pareilles, le caprice du vainqueur. » Voilà en quelques mots, et sans artifice, le programme de Catilina.

Nous souhaiterions sans doute que ce programme nous fût parvenu dans la forme qu’il lui avait donnée. Nous saisirions mieux la portée de ce qu’il préparait, nous entrerions plus avant dans sa pensée, si nous l’entendions lui-même dans ces entretiens avec ses amis, dont parle Salluste, quand il déblatérait contre les honnêtes gens, et qu’ensuite, prenant chacun des siens à partie, il adressait des complimens aux uns, rappelait aux autres leurs misères, ou leur passion favorite, ou les dangers et l’infamie auxquels les exposaient leurs affaires embarrassées,

  1. Par ce mot tabulæ novæ, ou réfection des registres, il faut entendre une sorte de banqueroute légale. On détruisait les registres anciens sur lesquels les dettes étaient inscrites, et, sur les nouveaux, les dettes étaient diminuées ou entièrement supprimées. L’État était intervenu déjà plusieurs fois pour régler de cette manière les différends entre les créanciers et les débiteurs. On se souvenait qu’en 668, le consul Valerius Flaccus avait réduit les dettes d’un quart. C’est probablement ce que Catilina se proposait de faire.