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élémens qui lui donnaient le plus d’autorité, à savoir le groupe socialiste parlementaire. M. Jaurès l’y représentait autrefois, et si M. Jaurès exerce la dictature de la persuasion, comme on l’a dit jadis d’un autre, ce n’en est pas moins une dictature : il n’est pas toujours facile de distinguer si elle est acceptée, ou subie. Dans bien des cas, la délégation des gauches s’est résumée en M. Jaurès. Cet instrument commode, qui a été si utile à M. Combes, ne l’a pas été moins au leader socialiste, et M. Leygues n’avait pas tort de croire qu’il éprouverait quelque embarras lorsqu’il le verrait tourné et employé contre lui. Sans doute, la délégation, amputée de M. Jaurès, n’est plus que l’ombre d’elle-même ; mais il y a des ombres gênantes, et celle-ci est du nombre. M. Jaurès ne pouvait pas la négliger absolument.

Sa sortie de la délégation des gauches est due à la crise que le parti socialiste traverse depuis longtemps, et qui a pris dans ces derniers temps un caractère plus accentué. On sait qu’il y a deux groupes opposés dans ce parti. L’un garde avec un soin farouche l’intégrité de la doctrine, condamne la participation de ses adhérens aux pouvoirs publics, et s’il tolère à peine leur présence à la Chambre, c’est à la condition qu’ils s’y réfugient sur une sorte de mont Aventin pour y vaticiner au milieu de la foudre et des éclairs en attendant une révolution qui ne peut manquer d’être très prochaine. L’autre estime, au contraire, que le parti socialiste doit se mêler à tout, même au gouvernement, à plus forte raison qu’il doit conclure des alliances et combiner sa conduite avec les autres élémens du parti républicain avancé, de manière à agir sur ce dernier, ou plutôt à le dominer comme cela lui est arrivé quelquefois. Nous indiquons les deux tendances par leurs conséquences extrêmes, entre lesquelles il y a naturellement beaucoup de nuances intermédiaires. Dans ces conditions, l’unité du parti était bien difficile à maintenir ou à reconstituer. M. Jaurès s’y employait d’un côté et M. Jules Guesde de l’autre, mais en sens inverse, et sans que jamais l’un ait remporté sur l’autre un succès décisif. Que de congrès n’a-t-on pas faits pour y réaliser enfin l’unité socialiste ! On proclamait immanquablement le lendemain qu’on y avait, cette fois, réussi pour de bon. Mais c’était toujours à recommencer. Il vient d’y avoir un dernier Congrès. Il s’est tenu à Paris, et, bien qu’on y ait voté, comme on le fait toujours pour mettre tout le monde à l’aise, des propositions équivoques ou même contradictoires, il en est sorti une condamnation assez apparente de la méthode parlementaire de M. Jaurès, pour que celui-ci fût obligé à un semblant de soumission. On devait faire l’unité partout, on a commencé par la Chambre. Il y