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Cherchell, sur les murs des Thermes, parmi les mosaïques décolorées qui racontent les triomphes des anciens dieux… Pourtant je me persuade que ma pensée n’a point quitté ces ruines, tellement les émotions qu’elles engendrent se confondent avec les plus intimes souvenirs de ma vie africaine. Non ! il n’y a pas eu d’éclipsé, pas d’interruption dans l’histoire ! Les temps antiques continuent leur cours. L’aigle latine plane encore sur tous les pays de l’Empire !

Ici même, il y a dix-sept siècles, des jeunes gens élevés par les rhéteurs de Rome songeaient comme moi, les yeux tournés vers le rivage ; et leurs esprits nourris des mêmes poètes caressaient sans doute des images pareilles. Assis sur les bancs en hémicycle ou sur les cathèdres de marbre qui bordaient la terrasse, ils se récitaient des vers de Virgile, peut-être les strophes ardentes de ce Pervigilium Veneris, composé, dit-on, par un Africain, — ces Vêpres païennes, où l’accent de la volupté la plus brûlante se marie aux plus mystiques effusions :


Quando ver veniet meum ?
Quando faciam ut chelidon ? Ut tacere desinam ?
Crus amet qui nunquam amavit, quique amavit, cras amet


— « Oh ! quand viendra mon printemps ? Quand ferai-je comme l’hirondelle ? Quand cesserai-je de me taire ?… Il aimera demain, celui qui n’a pas aimé, et celui qui a aimé déjà aimera demain encore !… »

Il y dix-sept siècles, la mer qui berçait ce chant d’amour n’était pas plus belle, plus harmonieuse plus pleine de Vénus que ce soir… Encore une fois, tournons les yeux vers le divin paysage ! Quelle sérénité dans l’air ! Le vent du Nord s’est calmé. La Méditerranée assoupie est un grand lac de lait, où la face vermeille des dieux couronnés de roses se reflète en traînées d’ambre et de pourpre pâle. Des fumées lilas montent dans le ciel tout blanc. Une barque unique se tient immobile sur le miroir illimité des vagues ; et sa voile qui se répète, aile lumineuse, dans les profondeurs frissonnantes, semble un grand épervier d’or abattu sur les eaux, — l’Epervier sacré apporté autrefois d’Egypte par Cléopâtre Séléné, dans Césarée de Maurétanie.


Louis BERTRAND.