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divaguait : où étais-je ? Les sensations que j’éprouvais étaient si nouvelles ! Elles entraînaient mon imagination vers des époques et des choses si lointaines !… A travers les buées tièdes qui remplissaient l’étuve, je promenais mes regards autour de moi. Dans le fond, tremblait le halo d’une lampe, et je distinguais le sautillement rythmé de l’esclave qui, aidé d’un compagnon, foulait un paquet de linges. Je les voyais obliquement, car je ne remuais pas ma tête, et mes yeux revenaient toujours avec lassitude vers les ténèbres de la voûte, où ils se perdaient dans le noir. De temps en temps, une goutte froide, qui s’en détachait, tombait sur ma joue et me forçait à fermer les paupières. Une invincible torpeur m’envahissait…

Tout à coup, les deux esclaves, ayant fini leur besogne, m’empoignèrent, l’un par les épaules, l’autre par les jambes, et, sans la moindre douceur, ils me déposèrent dans un coin de l’étuve, au bord d’une rigole, où coulaient un robinet d’eau tiède et un robinet d’eau froide. Ils me firent coucher à plat ventre, le nez contre le pavé, puis, saisissant une poignée d’étoupes qu’ils trempèrent dans du savon liquide, ils se mirent à me frotter si vigoureusement que j’en criais. Ils s’interrompaient pour me jeter des gobelets d’eau tiède sur tout le corps, et ils recommençaient leur friction frénétique. Après cela, avec la paume de leurs mains en guise de strigile, ils entreprirent de me racler l’épiderme. On me nettoya, on me retourna dans tous les sens. Parfois, le grand maigre s’arrêtait et il agitait au-dessus de ma tête ses mains savonneuses :

— Regarde comme tu étais sale !… Regarde ta peau, ta sale peau !…

Je ne m’offensai nullement de ces familiarités, sachant que c’était un simple artifice pour obtenir un salaire plus élevé.

Quand ils se furent fatigués à ce jeu, ils m’arrosèrent d’eau répandue à pleins gobelets, et ce me fut une sensation délicieuse, qui me ranima un peu. Alors ils s’attelèrent tous les deux à mes bras et à mes jambes, ils me les tirèrent, ils m’écartelèrent. Ils me firent craquer chaque articulation, et, me tenaillant les muscles entre leurs doigts serrés comme des étaux, ils me les tordirent, ils en exprimèrent les dernières gouttes de sueur. Enfin on me rinça à l’eau froide, on me remit sur pieds, on m’essuya, on m’attacha une serviette autour des reins, une autre sur la tête, et, me soutenant par les aisselles, les deux esclaves