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noire, mutilée tout près de la base : ces jambes roides comme des poteaux, ces pieds plats aux orteils largement espacés, ce sont les jambes et les pieds de Thoutmôsis Ier, roi de Thèbes, « le maître qui fait les choses, le fils du Soleil donnant de son flanc la vie à jamais. » Voici, plus loin, un ex-voto punique représentant un sacrifice à Baal. Voici enfin les reliques de la Rome conquérante. Statues d’hommes et de femmes revêtues de la toge ou de la stola, en cuirasses ou en manteaux militaires ! Matrones et jeunes filles, administrateurs, centurions, légionnaires, auxiliaires barbares ! Je m’arrête devant la stèle funéraire d’un jeune cavalier dalmate, « mort à vingt-sept ans, après onze ans de service, » dit l’inscription gravée au-dessous. Il est sur son cheval de bataille lancé au galop contre des soldats ennemis qu’il renverse et qu’il frappe de sa lance…

La figure est grossière jusqu’à la caricature, mais la signification en est tellement précise qu’il me semble avoir le personnage devant les yeux. Je songe aux zouaves du second Empire que j’ai revus, en lithographies coloriées, sur les murs de mon hôtel. Ces vieilles gravures militaires, c’est déjà de l’archéologie, presque au même titre que la stèle de mon cavalier dalmate. Mais, dans cette poussière des ruines, où les siècles et les pays se mêlent et se confondent, les différences d’époques finissent pur s’atténuer, jusqu’à en devenir insensibles, et toute l’histoire nous apparaît dans un perpétuel présent.

En réalité, rien ne meurt, tout recommence. Cette idée me saisit plus fortement encore devant le buste du roi Juba II, qui fut le fondateur de Césarée, qui construisit ce grand temple d’albâtre, dont les débris jonchent l’Esplanade de Cherchell. Il est vrai que ce buste est affreusement mutilé, le nez a disparu une longue balafre coupe le visage, du menton aux sourcils. Pour retrouver les traits du roi maure, je suis obligé de faire appel à mes souvenirs et de me reporter, par la pensée, à cet autre buste de lui qui est actuellement au Louvre, dans la salle des Antiquités africaines.

Il ne faut pas détailler longuement cette tête pour y reconnaître immédiatement une physionomie toute locale. Les pommettes rondes et saillantes, l’ovale gras du visage, le nez court et légèrement épaté, tels sont encore les signes caractéristiques qui distinguent le Maure du littoral barbaresque. Cette persistance du type ethnique à travers tant de révolutions, d’invasions, de