Page:Revue des Deux Mondes - 1905 - tome 27.djvu/679

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’albâtre » que le voyageur Marmol put voir encore debout au XVIe siècle, et qui s’apercevait de la haute mer.

Mais la chose vraiment exquise que j’ai rencontrée là, c’est un chapiteau de marbre blanc qui, à n’en pas douter, faisait partie du même ensemble. La corbeille, aux dimensions imposantes, est d’un corinthien fort libre, dont je n’avais vu nulle part ailleurs un type semblable. Seule, la base est bordée d’acanthes frisées du bout et recourbées en volutes. De cette touffe de feuillages, jaillissent des tiges très sveltes, qui serpentent jusqu’à la moulure de l’abaque, où elles se contournent en spirales. Au centre, une large fleur épanouit son calice parmi des entrelacs végétaux, d’une souplesse et d’une douceur qui donnent presque l’illusion de la nature. Ce corinthien léger et capricieux, c’est assurément l’illustration la plus parfaite que je connaisse de la célèbre légende hellénique, si jolie et si touchante : le calathos funéraire déposé par une jeune fille sur la tombe d’un mort chéri et, peu à peu, enveloppé, comme d’une sculpture vivante, par les belles feuilles qui poussent tout auprès. Mais, ici, les pieuses acanthes se sont arrêtées à mi-hauteur de la corbeille. On distingue encore le tissu frôle de l’osier et les corolles des fleurs offertes qui s’éparpillent et qui fuient par les interstices.

Je caresse longuement du regard et de la main ce marbre séculaire, moelleux au toucher et jauni comme un ivoire. Certes, les hommes d’Afrique capables de jouir de ces formes délicates ne pouvaient être des barbares. On peut juger de leur goût d’après les fûts de colonne, les chapiteaux, les pilastres, les figures colossales qui jonchent le sol de l’Esplanade. On peut même ressusciter par la pensée le mystérieux temple d’albâtre qu’entrevit Marmol, à cette place. Pour moi, je l’imagine (à peu près sur le modèle du temple de Tébessa, mais en beaucoup plus grand) précédé d’un vaste péristyle et surmonté d’un attique sans fronton, où se déployait une rangée de statues. Il était large, ventilé, sonore, tout resplendissant de bronze, de peintures polychromes, égayé de guirlandes, de feuillages, de rameaux en fleurs, véritable verger de marbre, où les oiseaux des frises, les Victoires des métopes faisaient comme un bruissement d’ailes continu, monument d’apothéose sous sa couronne de figures divines qui, tout en haut de la cimaise, s’enlevaient éclatantes de blancheur, dans le bleu du ciel, tandis qu’aux quatre angles de