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bleu des petites vagues et, tout au fond, le grand miroitement ininterrompu des plaines marines.

Mais aussitôt mes regards se détournent vers une colonne mutilée, dont le torse élégant et robuste se dessine d’un trait net sur le fond splendide de la mer. Elle a été placée si heureusement que, dès qu’on la vue, on ne peut plus voir qu’elle. Cette colonne isolée, qui évêque tout un édifice et dont le fût blessé d’entailles offre un galbe si fier, elle suffit à elle seule pour faire oublier les vulgaires bâtisses qui bordent les deux côtés de la place et pour prêter une grandeur toute classique au paysage. Toute la noblesse de la ville morte revit en elle, comme en un témoin véridique, et toute l’histoire de la province se rassemble pour moi autour du socle d’où elle s’élance. Cependant nul mirage du passé ne saurait balancer à mes yeux cette fine silhouette de marbre qui se dresse, en plein ciel, au bord de l’abîme, et qui, dans sa ruine hautaine, prend on ne sait quel sens à la fois triomphal et tragique.

D’autres épaves gisent à l’entour. Mais on a rassemblé les plus belles pour en revêtir les parois d’une fontaine monumentale qui s’élève au centre de l’Esplanade. L’idée serait ingénieuse, si l’architecture banale de l’œuvre moderne ne jurait étrangement avec le caractère grandiose de ces débris. Ce sont d’abord quatre figures colossales, — des têtes de femmes, selon toute apparence, dont la chevelure divisée en masses épaisses a l’air de flotter au vent. D’une exécution simplifiée à dessein, ces figures toutes décoratives ont une vigueur de modelé, une intensité de vie idéale, qui les apparentent aux meilleurs modèles de l’art grec, par exemple aux compositions brillantes et mouvementées d’un Scopas. Faites pour planer de haut et pour être considérées de loin, elles devaient occuper sans doute une corniche droite, au sommet de quelque spacieux édifice. Les yeux profondément enfoncés sous les arcades sourcilières semblent absorber tout l’horizon dans leurs grandes prunelles vides.

Les quatre masques sont accompagnés de pilastres d’une ornementation gracieuse : on y a sculpté des arabesques, de longues tiges flexibles et fleuries, des oiseaux blottis sous les feuilles et qui becquètent des fruits. Tous ces fragmens antiques proviennent sans doute d’un temple qui s’élevait à l’extrémité de l’Esplanade, probablement sur l’emplacement de l’église actuelle. C’était peut-être ce grand temple « tout bâti de marbre et